Silence

Septembre 2020

Dans un monde de plus en plus bruyant, le silence ne deviendrait-il pas l'anti-biotique intelligent contre les maladies de l'esprit générées par une culture du bruit et de l'éphémère? George Prochnik nous aide à en prendre conscience.
On y joint, après l'analyse de son livre, une réflexion de Gustave Thibon qui exprime de façon concentrée cette nécessité pratiquement “ médicale ” d'une intériorité pour donner sens à notre humanité dans le monde tel qu'il évolue!

George Prochnik, In Pursuit of Silence. Listening for Meaning in a World of Noise, Anchor Books, 2011, 242 pp., ISBN 978-0-7679-3121-2

In Pursuit of Silence    In Pursuit of Silence

Voici un livre qui devrait faire partie de l'arsenal de ceux qui prônent une « écologie humaine » comme première forme d'attention écologique à l'environnement naturel de l'humain … et aussi parce que la maîtrise du bruit (des bruits) est un enjeu pour un développement humain critique et intelligent!
George Prochnik, grand journaliste et publiciste, explore systématiquement les lieux potentiels de silence pour s'apercevoir que le silence absolu n'existe pas, et donc, que le silence indispensable à l'équilibre humain (les centres de l'équilibre ne se trouvent-ils pas dans l'oreille interne?) est avant tout une relation équilibrée aux bruits.
Après avoir exploré la prise de parole assez inattendue dans les Assemblées de Quakers, il va interviewer une astronaute qui aurait, croyait-il, l'expérience contrastée du rugissement de la fusée au décollage, puis du parfait silence des étendues infinies de l'espace! Rien de tout cela: la construction des fusées a prévu de protéger les astronautes des excès de bruit insupportables par un humain normalement constitué, tant au départ qu'en vol; et les zones internes de repos sont très calmes! Quant au grand silence de l'espace quand l'astronaute sort du satellite ou de la station spatiale, il est perpétuellement encombré par le contact avec la station de Houston qui contrôle et commande presque chaque geste de l'astronaute en manœuvre. Une fois seulement, durant quelques minutes en attendant d'avoir passé l'ombre nocturne lors d'une mission extérieure, l'astronaute a pu jouir de l'immensité du ciel et de l'espace, sans interférence de bruit! Une sensation merveilleuse!
Avec un oto-rhino-laryngologue de l'université de New-York, Prochaine peut voir sur un écran l'analyse des sons provoqués par la parole humaine. Il se rend alors compte que chaque parcelle de son est accompagnée d'une plage de silence.
L'origine du mot « silence » pourrait être une dérivation du latin desinere qui évoque l'arrêt (stop)!
Le silence serait donc lié à une action interrompue. Le silence perçu comme un arrêt, un repos, un chemin de rupture et de renouveau, parle à beaucoup de personnes sous cet angle dans notre vie actuelle qui est trépidante et sans « arrêt »! Cela explique, notamment, la validité, médicalement prouvée, des cures de sommeil. Tous les chercheurs et médecins en audiologie confirment la nuisance de trop de bruit qui est la cause d'une quasi épidémie de perte de l'audition, notamment aux États-Unis d'après un rapport alarmant de la John Hopkinson Université de New-York! Tous ceux qui écoutent de la musique toute la journée avec des oreillettes ou autres appareils qui peuvent développer jusqu'à 103 décibels, sont en train de détruire leur système auditif! C'est d'ailleurs le cas également avec l'utilisation d'un très grand nombre de jeux vidéos sur ordinateur ou console de jeux.

Prochnik va alors s'intéresser au bruit. À Washington, il accompagne une patrouille de police spécialisée dans les plaintes pour tapage. L'officier confirme que la majorité des plaintes sont des plaintes familiales qui dégénèrent en querelles de ménage dans des espaces de vie ou deux, trois ou quatre appareils de diffusion sont allumés à toute force simultanément! L'officier de police appelé, commence par mettre à l'arrêt tous les appareils (radio, TV, jeux vidéos, etc), puis il fait attendre tout le monde pendant quelques minutes en silence avant de leur demander s'ils ne se sentent pas mieux comme cela. Souvent l'affaire se règle ainsi!
« Je me suis alors rendu compte, dit Prochnik, que ma recherche devait avoir deux volets: pour comprendre le besoin de silence, il sera nécessaire de comprendre le bruit » (p.18). « Ces deux recherches parallèles m'ont amené en beaucoup d'endroits: des laboratoires de neurobiologie aux Jardins Zen; d'un monastère trappiste à un fabricant d'outils de mesure du bruit et jusqu'à une compétition féroce de radios pour automobiles! » (p.19).
Mais il y a inégalité entre les deux faces de cette quête, car on n'atteint jamais le silence complet, sauf à la mort! L'enseignement d'un maître bouddhiste dit que « le silence n'est pas ce que nous désignons par silence; il y a silence quand ma relation [au bruit] est en paix. Le silence est ma protestation contre un état de chose [bruyant] » (p. 20). Pour rechercher le silence, il ne faut pas faire plus de bruit que le bruit environnant. « L'argument le plus fort en faveur du silence est probablement de penser à ce que je ne puis pas entendre à cause du bruit » (p.20).

Au-delà de cette Introduction, George Prochnik va développer son enquête en 12 chapitres.

Le premier se passe à la Trappe de New Melleray. Là il médite sur différentes expériences de silence jusqu'à évoquer un silence originel du type du tsim-tsoum du cabaliste Isaac Luria qui serait un « retrait » du divin à l'origine de l'univers créé.
Physiologiquement, des tests neurologiques, notamment auprès de patients qui souffrent d’Alzheimer, montrent que des plages du cerveau qui sont au calme et sans activité préparent l'effort du cerveau au même titre que le rythme cardiaque prépare l'effort d'un athlète.
Les silences officiels, devant un monument aux morts ou autour d'un événement important, grandissent la mémoire de cet événement et le rendent majestueux et universel!
L'intensité du silence dans une petite chapelle-ermitage du monastère trappiste, à la seule lumière vacillante d'une bougie, donne à Prochnik un sentiment de bien-être qu'il regrettera de devoir quitter.

Le second chapitre présente des chercheurs qui ont étudié l'acoustique des animaux. Entendre, chercher le silence, sont d'abord des fonctions animales. Avec R. Bruce Masterton, les Hoffners ont écrit The Evolution of Human Hearing, étude comparative de l'audition chez 18 espèces animales. Ils ont notamment découvert que « si l'on pouvait mesurer la distance entre les oreilles d'un animal, on pourrait prédire avec une grande précision son audition en haute-fréquence » (p.53). Depuis cette étude les Hoffners ont étudié l'audition chez plus de 70 espèces animales en plus! La différence de fréquence qui atteint successivement les oreilles est vitale pour les animaux. L'orientation et la taille des oreilles influent sur l'audition. « Pour nos prédécesseurs dans l'évolution, le silence était presque toujours une question de survie. C'est pourquoi, disent-ils, les enfants sont en si grand danger de perte d'audition aujourd'hui: l'oreille médiane se défend du bruit » (p. 59).
Un test d'audition effectué en 1961 par Samuel Rosen sur les membres d'une tribu africaine très éloignée de tous les bruits de la « civilisation occidentale », a prouvé que 53% de ces villageois pouvaient percevoir des sons que seuls 2% de new-yorkais étaient capables d'entendre. Le chef d'un groupe américain d'opérations spéciales lors de la guerre d'Irak a souligné que le silence était l'arme la plus sûre dans ce type d'opération SLLS (stop, look, listen, smell – arrêter, regarder, écouter, sentir). Seuls les chiens, s'il y en a chez l'ennemi, arrivent à trahir une présence qui se veut absolument silencieuse! « L'esprit, semble-t-il peut créer le silence là où, dans la réalité, il est le moins présent » (p.63) « Ma conversation avec ce chef de section, Everman, a mis en évidence le caractère central du silence pour pouvoir survivre dans un bio-système fondé sur les prédateurs » (p. 64).
La paléontologie montre une structure de l'oreille interne encore collée à l'os intérieur et des témoins sourds comme Beethoven ou Edison ont montré qu'ils pouvaient percevoir les sons en collant leur mâchoire ou leur tête contre le bois du piano ou du diffuseur. Les animaux d'il y a 125 millions d'années « entendaient à travers leurs ossatures » (p. 66). Raison de plus pour prendre un grand soin d'une faculté (l'audition) qui a mis près de 200 millions d'années à se développer!

Le chapitre trois se demande pourquoi nous faisons tant de bruit.
Dès 1938, le Professeur M.A. Steers a montré clairement le caractère « dominant » de l'expression de Hitler qui avait une portée touchant à un effet d'hypnose : si une situation d'urgence peut être déclenchée par un son de 220 vibrations à la seconde, la voix d'Hitler vibrait à 228 vibrations/seconde – ce qui provoque le même effet que si l'on encaisse un coup de klaxon dans le dos! Darwin avait déjà montré que les bruits émis par des animaux servaient à marquer leur domination. Chez les animaux, la basse-fréquence des sons indique souvent la taille de l'animal et sa force (son volume de testostérone). Le son bas et fort sert aux mâles pour dominer les autres mâles et pour attirer les femelles.
Selon le directeur du « Musée de l'enregistrement du son », l'audition humaine se situe entre 20 et 20.000 cycles de vibrations à la seconde.
Mais on peut remonter à Pythagore pour avoir déjà une étude rationnelle et mathématique des différents sons. Les distances entre les notes commencent ainsi à être perçues et qualifiées. Pythagore en tirera une théorie de la musicalité de tout l'univers (y compris les étoiles). Elle sera reprise par S. Augustin, puis par S. Bernard!
Le chant des moines utilise des harmoniques simples qui ont un caractère agréable et apaisant. Des études ont montré que « la respiration et la structure musicale d'un chant régulier peuvent avoir des effets psychologiques positifs » (p. 80). Chanter fait baisser la pression sanguine et fait monter le niveau de l'hormone DHEA.
Les écarts très calculables entre les tons, les notes, sont à la base de toute harmonie; et les gestionnaires de maisons de disques (Columbia, Decca) jouent avec ces « ratios » que l'on trouvait tout naturellement dans les églises romanes et gothiques. Mr. Gaydos donne à ce propos une définition du bruit: « Le bruit a plus de fréquences qu'un son musical et les fréquences émises n'ont pas de relations [harmonieuses] entre elles » (p. 81).
Chaque objet a sa fréquence propre. Une étude du Journal of the Acoustical Society of America de décembre 2008 tente de mesurer les effets de 75 sons différents. Parmi les plus plaisants on trouve: le rire d'un bébé, l'eau qui s'écoule ou le bruit d'une petite chute d'eau, l'eau qui bout ou qui dévale. Dérangent les sons qui sont entre 2.000 et 5.000 Hertz! « Tout cela prouverait que notre cortex auditif semble construit pour favoriser des sons cohérents avec une quête de silence » (p. 84). Le son inharmonieux ou agressif qui fait le « bruit » (noise en anglais) correspondrait donc bien à l'origine du mot noise qui viendrait du latin nausea : malaise!

Le chapitre 4 va explorer des phénomènes d'utilisation abusive du bruit par les humains.
D'abord toutes les approches du son de marketing: le type de musique et son niveau sont étudiés par les grandes chaînes de distribution afin de flatter l'oreille du client! Le cri des marchands sur les marchés ouverts d'antan préfigurait ce qui se propose aujourd'hui sur base d'enquêtes pointues de marketing. « Toute l'énergie du bruit [de fonds] diffusé dans les chaînes de magasins équipées par DMX, vous donne la sensation d'être énergique vous-même » (p. 97). Le rythme et la nature de la musique (du bruit …?) dans ces magasins a une influence sur le rythme de visite des clients – ce qui rejoint un peu l'effet des musiques militaires sur la troupe! Cet effet peut se voir aussi dans les restaurants qui, dans certaines grandes villes des États-Unis, sont maintenant évalués pour leur niveau de bruit. Si la musique a un rythme plus rapide, la mastication s'accélère et le plaisir de manger diminue. Et il est prouvé que la stimulation acoustique accroît les effets de la prise de MDMA (Ecstasy). L'effet « son » des stades de football ou autre est bien connu pour la production d’adrénaline. Paul Allen, propriétaire des Seattle Seahawks avait demandé aux architectes du stade de son club de le dessiner de telle façon qu'il répercute sur le terrain un maximum de bruit fait par les spectateurs (p. 103). Et il est connu que les joueurs doivent aussi être formés à ce déluge de bruit pour ne pas en être écrasé au moment des matchs!

Le chapitre 5 examine les sons qui sont véritablement du bruit. (pp. 106-115). On augmente le « son » pour ne pas entendre le « bruit »! On peut aujourd'hui calculer les bruits spécifiques accumulés d'une ville donnée. Ils donnent le « ton » de la ville. Et l'on produit de plus en plus de sons créés spécifiquement pour pousser les gens à consommer… partout! Ainsi le bruit pourrait être défini comme un son dont on ne peut se débarrasser. Ce son obsédant peut ébranler le système vestibulaire de notre oreille sur lequel est fondé notre sens de l'équilibre; il pourrait donc amener à un certain type de vertige (p. 113).

Le Chapitre six veut être un « intermède silencieux » après un parcours déjà harassant dans l'univers des sons et des bruits et avant d'explorer pourquoi certains humains se font un plaisir du bruit, voire du bruit violent (p. 115).
Il y a lieu de se demander systématiquement où se trouvent les plages de calme dans son environnement citadin le plus proche, si on vit en ville et si on ne peut prendre un billet pour la mer ou la campagne. Certaines librairies, des musées, des cimetières… mais également certaines petites zones vertes à l'écart du grand trafic existent : les parcs miniatures (pp. 117-118). Au bout du parc une petite cascade couvre immédiatement les bruits des rues environnantes. La création de ces « pockets-parks » à New-York vient d'une volonté urbanistique claire à partir des années 1960ss. L'aspect architectural lui-même est conçu pour mener au silence selon l'observation de Diderot selon laquelle celui qui regarde une œuvre d'art devient comme un sourd-muet qui cherche à déchiffrer un signe sur un sujet qu'il connaît « regarder une œuvre peinte nous met dans un silence communicatif » (p.122). Les neurosciences de l'esthétique du regard ont montré que nous avons deux circuits neuronaux différents pour notre regard: un canal de « vision pour l'action » et un autre canal de « vision pour la perception ». Les jeux vidéos sur console ou ordinateur excitent presque exclusivement le premier canal et poussent à utiliser instinctivement le joystick plutôt que la réflexion mentale (p. 123). Donc, si un enfant accumule le seul usage de « vision pour l'action », il aura de plus en plus de difficulté à regarder une image fixe (comme une peinture)… la musicalité silencieuse de l’œuvre d'art lui échappera (p. 123).
Les églises sont encore souvent aujourd'hui des lieux de silence: « le silence dans un temple désert est à Dieu ce qu'est l'empreinte laissée dans certains matelas doux par le rêveur qui l'a quitté » (p. 124).

Le chapitre sept explore les sons qui tuent.
Un fana du plus fort bruit possible produit avec une radio d'automobile a créé un concours de ce type de bruit volontaire en Floride.
Cet amour du bruit remonte au mouvement futuriste italien créé par le poète F.T. Marinetti en 1909: « éliminer le passé au nom de la voiture, des machines et du bruit » (p. 126). Russolo le suivra en écrivant son manifeste L'art des bruits. Marinetti encouragera l'entrée en guerre de l'Italie car seul le bruit des canons peut balayer un passé compassé et silencieux! Le bruit symbolique de ce mouvement fut le « vroum » , le bruit de l'accélération d'une puissante voiture… ce bruit sera à l'origine des boom-cars (voiture bruyante). Mais ce n'est qu'avec le progrès des radios pour voitures dans les années 1970, 1980 que va vraiment se développer le plaisir spécifique de faire du bruit avec sa voiture! Mouvement amplifié par les vendeurs de radios pour voitures et du fait de l'engorgement de plus en plus fréquent des routes créant de longs bouchons autour des grandes villes aux heures de pointe. L'énervement pousse au bruit!
Ceux qui à Tampa (Floride) font des concours de radio-stereo avec leurs voitures trafiquées peuvent faire monter le son jusqu'à 141 ou 142 décibels (alors que l'on sait qu'à partir de 140 décibels cela peut provoquer des pertes définitives d'audition) (p. 137). On notera qu'à 20 mètres d'un avion en décollage on est exposé à 150 décibels… et à moins de 10 mètres à 160 décibels!
En compagnie de ces faiseurs de bruit automobiles, Prochnik fait alors l'expérience d'un bruit qui n'est plus « musical » mais qui devient une vibration de tout le corps donnant l'impression que les vêtements mêmes sont flottants « ce n'était pas hilarant, mais électrifiant » (p. 152). Son interlocuteur (Thompson) lui explique « qu'au-dessus de 163 décibels, l'air cesse d'être de l'air, le son cesse d'être du son... et à 196 décibels, la pression devient deux fois celle de l'atmosphère. Il n'y a plus de molécules d'air à déplacer… il n'y a plus qu'une force de compression... qui pourrait provoquer une onde de choc » (p. 152-153). Et Thomson d’expliquer que cet amour du son toujours plus fort exacerbe la sensualité… et une accoutumance au bruit fort depuis l'enfance, à travers iPod ou autres, engendre un besoin presque physique de bruit!

Le chapitre huit signale que le trafic routier génère le plus de bruit. Une étude européenne montre que 65 millions d'Européens sont agressés à un niveau qui peut être dangereux pour la santé auditive et cardiovasculaire (p. 155). Et il existe effectivement aussi des recherches pour une utilisation militaire des sons extrêmes. Le bruit devient alors une arme. L'organe vestibulaire frappé par des très puissants bruits de basse fréquence peut provoquer une paralysie d'autres organes (p. 159). On utilise ce genre de techniques pour donner les impressions fortes dans les projections cinématographiques de type IMAX! Et il est connu que le bruit sert aussi à couvrir des bruits désagréables comme avec l'Audiax inventé par les dentistes pour diminuer l'impact des bruits provoqués sur les dents de leurs clients par d'autres machines!
Si le Walkman de Sony (1979ss) permettait aux gens de contrer les nuisances sonores urbaines, il semble qu'avec les produits de la 4e génération et des iPod, on passe à une nouvelle façon d'intégrer tous les bruits incohérents et disturbateurs de la civilisation actuelle. « Plutôt que de dénoncer l'aliénation de la Y-Generation, on devrait se demander comment on en est arrivé à rendre notre environnement sonore le plus large aussi répandu qu'il devienne l’équivalent sonore du fast-food » (p. 165). De nombreuses études montrent aujourd'hui les risques d'une perte d'audition suite à une utilisation intensive d'iPod ou autres gadgets acoustiques individuels (MP3). Au moins 25% de la population prend des risques de ce type par trop d'exposition à ces types de bruit et trop fort.

Le Chapitre neuf se tourne vers la gestion domestique (home) de ce large phénomène d'une société de plus en plus bruyante: « À ce point de mon étude, dit Prochnik, je crois que je commençais à comprendre un peu mieux pourquoi notre monde résonne comme il le fait. Par une combinaison d'évolutions commerciales, infra-structurelles et socio-culturelles, il y a plus de bruit permanent et auquel on ne peut se soustraire » (p. 170). Et ce type de bruit est très difficile à contrer car il nous aide à nous sentir plein d'énergie, de jeunesse, de liberté, de vitesse, et protégés d'autres bruits qu'on ne peut contrôler. « Mais cela ne rend pas moins profond le besoin de silence. Comment sortir (opt-out) de ce monde de bruit? Comment améliorer notre protection anti-bruit autrement qu'en faisant plus de bruit pour masquer ce bruit? » (p.170)
Prochnik va alors chercher du côté des professionnels de l'isolation sonore. Il existe des expériences de protection anti-bruit qui permettent d'arriver à arrêter tout son. Mais, ces recherches ne vont-elles pas trop loin? Des expériences japonaises en laboratoire sur des échantillons de rats blancs ont montré que des rats élevés dans un environnement perpétuellement bruyant vivent plus longtemps (mais avec beaucoup de nervosité) qu'un autre échantillon élevé dans un silence presque complet (p. 186).
Aujourd'hui, on peut tout isoler parfaitement; mais ce n'est pas cela qui apporte le silence. Celui-ci suppose l'acceptation des petits bruits de la vie de tous les jours, de pouvoir entendre les oiseaux dehors. Créer son propre silence absolu en s'isolant est aussi nuisible que de s'isoler avec son iPod branché à fond!
Au final, ce problème de bruit est un problème de politique publique pour lequel le citoyen doit se lever et se battre comme il l'a fait pour obtenir des zones « non-fumeur »!

Le chapitre dix évoque la « guerre des bruits » à tous les niveaux de gouvernance.
Les États-Unis subissent une perte (coût) de 4 milliards de dollars par an à cause du bruit – on le sait depuis un article du New York Times de septembre 1972!… et, depuis, les avertissements et politiques se sont succédés sans résultats. Et pourtant, médicalement, selon un Rapport de la World Health Organization de 2008 «  le bruit serait plus nuisible que la pollution de l'air pour la santé cardio-vasculaire » (p. 204).
Il y a pourtant eu des militant(e)s anti-bruit comme Julia Barnett Rice qui créa en 1906 la Society for the Suppression of Unnecessary Noise (p. 207). Elle obtint notamment qu'on établisse des zones de non-bruit autour des hôpitaux.
On fait aujourd'hui des relevés cartographiques des zones de bruit (surtout dans les villes). Ce genre de technique est surtout utilisé pour diminuer les nuisances sonores autour des aéroports et elles semblent actuellement mieux gérées en Europe qu'aux États-Unis. Il existe une directive européenne de 2002 pour la création de ces « cartes du bruit ». La firme danoise Brüel & Kjaer à Copenhague, a, par exemple, été sollicitée pour rendre conforme le bruit des Harley Davidson aux lois anti-bruit, tout en préservant un son original et reconnaissable! Mais ils travaillent à rendre des ensembles architecturaux moins bruyants et plus agréables du point de vue sonore! Mais les cartes de bruit réalisées à la demande des autorités européennes ne sont pas contraignantes et sont assez vite dépassées... alors que leur réalisation coûte une fortune!
Les prescripteurs les plus écoutés actuellement sont les spécialistes des nuisances sonores à la World Health Organization (WHO). Depuis 2009 ils ont publié plusieurs rapports importants sur l'impact du bruit!
Prochnik termine son séjour à Copenhague par une visite au cimetière où se trouve la tombe du philosophe Kierkegaard dont il cite un extrait de son texte sur Les lys des champs et les oiseaux des cieux: « Quelle solennité, là, sous le ciel de Dieu, avec les lys et les oiseaux! Et pourquoi? À cause du silence … » (p. 232).

Chapitre onze: le Dragon!
Le Professeur Merzenich qui étudie la plasticité du cerveau dénonce « la façon dont le bruit empêche la connectivité chez les jeunes enfants et suggère que l'augmentation du nombre d'autistes pourrait être directement liée à l'épidémie d'excès de stimulation acoustique » (p. 235).
Déçu et bousculé par tout cela, Prochnik va faire l'expérience d'un Jardin japonais et de sa cérémonie du thé. Si on veut du silence, il faut construire des lieux de silence, comme on le fait pour d'autres activités humaines (p. 244). C'est dans une université pour sourds-muets à Gallaudet aux États-unis qu'il va trouver des architectes du silence: l'architecture des sourds! Pour cela il faut d'abord changer sa mentalité au sujet de la communauté des sourds et sourds-muets: les sourds ont beaucoup à apprendre aux entendants à propos du silence! Il faut faire l'expérience d'une perte totale d'audition... même sa propre salive fait du bruit dans ce cas (p. 249). Les sourds ont une autre relation à leur environnement dont ils ont la conscience d'être réellement une partie – d'où la création de formes architecturale « sourdes »! Ainsi on apprend que lumière et silence se tiennent, conscience et illumination vont de paire (p.268). Une architecture de silence peut aider à nous faire prendre conscience de ce que nous sommes vraiment intégrés à notre environnement (p. 268).

Chaptire 12: Silent Finale.
L'auteur évoque longuement le penseur Lessing (assassiné par le régime nazi). C'est un philosophe du silence. Dans son livre Der Lärm, il affirme que « La culture est une évolution vers le silence » (p. 279). Mais il n'a peut-être pas perçu qu'il fallait plus se préoccuper des voies pour promouvoir le silence que pour empêcher le bruit. Un de ses enseignements les plus importants est que le « déficit de silence dans notre civilisation reflète une baisse de l'éducation » (p. 280).
Il faudrait donc investir plus dans des initiatives qui promeuvent le silence. Notamment dans l'éducation, comme cela se fait dans les écoles des Quakers.
Il faudrait que la quête du silence devienne un mouvement qui fasse boule de neige.
Et, en finale, l'Auteur propose sa définition actuelle du silence: « je le décrirais comme l'équilibre spécial entre le son et le calme qui catalyserait nos capacités de perception » (p. 293).

Une grande leçon d'humanité qui mériterait l'attention de tous ceux qui cherchent et veulent promouvoir un avenir vraiment “ humain ” à notre humanité planétaire!

R.F. Poswick

Un de nos correspondants nous envoie un extrait, récemment republié de réflexions de Gustave Thibon, philosophe belge (décédé en 2001), sur l'absolue nécessité de l'intériorité consciente et cultivée pour le développement d'une humanité correctement structurée.
Voici ce texte:

C’est par la méditation que l’homme de demain pourra dominer son siècle et juger avec pertinence les transformations que les progrès techniques et l’évolution des mœurs et des modes feront se succéder sous ses yeux. C’est en elle qu’il trouvera son unique chance d’échapper aux pressions sociales plus contraignantes que jamais à cause de la puissance toujours accrue des moyens de diffusion.
La méditation, acte solitaire, vaccine l’individu contre les maladies du troupeau, contre les épidémies de l’opinion. Savoir dire non quand il le faut et autant qu’il le faut devient l’impératif majeur de l’homme moderne.
L’homme de demain aura d’autant plus besoin de méditation qu’il sera d’avantage voué à l’action : pour faire contrepoids à l’action d’une part, et pour lui donner un sens d’autre part ; pour échapper à la dispersion, à l’émiettement intérieur comme à la centralisation technocratique, pour résister à la règle imposée du dehors à ceux qui ne retrouvent pas en eux-mêmes leurs raisons de vivre et d’agir.
La puissance même dont dispose l’homme moderne rend impérieuse l’exigence de vie intérieure.

Gustave Thibon, Les hommes de l’éternel, Paris, Mame, 2012, p. 47, cité dans Magnificat, n° 333, Août 2020, pp. 378-379.