Une théologie de la création ou du cosmos?

Mars 2021

À travers les recoupements d'un Bulletin de Théologie de la création et des sciences on peut ausculter l'état de la réflexion sur cet environnement dont l'humain est une part intégrale et qu'il doit donc gérer comme il gère son propre corps!

François Euvé, s.j., Bulletin de Théologie des la création et sciences, Recherches de Sciences Religieuses (RSR), 108/4, oct.-nov. 2020, pp. 663-690.
Trente-deux ouvrages sont recensés par Fr. Euvé dans ce Bulletin. Cela correspond à plus de 10.000 pages qu'on remercie le Jésuite François Euvé d'avoir ratissées pour des lecteurs qui ne seraient pas des spécialistes de ces domaines que sont: 1. La théologie de la création; 2. L'écologie; 3. Les sciences et la théologie; 4. Les Études theillardiennes.

1. Théologie de la création

1. Oliver Simon, Creation: a guide for the perplexed, T&T Clark, London, 2017, 222 p.

S'adressant à un public d'étudiants, l'ouvrage veut “défendre la notion théologique de création face à tous les naturismes… avec une insistance sur la création comme don de participation à la vie divine” (p. 153/664). Il manque de référence à la dynamique trinitaire dans ce cadre!

2. Louis Carmana (Éd), L'Inizio e la Fine dell'Universo, Gregorian & Biblical Press, Roma, 2016, 176 p.

Philosophiquement et de façon très aristotélicienne, on insiste sur le fait que “tout ce qui a un commencement d'existence a une cause d'existence” - ce qui vaut aussi pour l'univers.
Du point de vue théologique, Michelina Tenace cherche le sens d'une création “ex nihilo” et reprend l'idée de Serge Boulgakov selon laquelle le “nihil” (rien) n'est pas une stérilité vide (ouk on, en grec), mais le passage d'une stérilité à une conception virginale ( on, en grec).
Quant à Darius Kowalczyk, il veut interpréter la création comme un retrait divin (dans l'esprit du tsim-tsoum cabbalistique juif), retrait par lequel Dieu prépare en lui un espace pour du “non-Dieu”. Chose d'autant plus possible si Dieu est, toujours, par nature, et de façon absolue, Celui qui “fait place” à l'Autre –; et seul un Dieu trinitaire et son amour “kénotique” absolu permettent de concevoir la “création” (pp.665-666).

3. Fabien Revol, Le concept de création continuée dans l'histoire de pensée occidentale, Vrin, Paris, 2017, 350 p.

Il s'agit du second volume d'une thèse sur ce thème. La création est l'objet d'une action conservatrice de Dieu (thomisme), ou bien il est créé à chaque instant (occasionnalisme cartésien), ou bien il faut y voir un “devenir substantiel des choses” (après Darwin, Bergson, Teilhard et Claude Tresmontant): l'univers serait, “par nature, un processus d'évolution et de genèse”. (pp. 283/666).

4. Catherine Wright, Creation, God an humanity: engaging the mystery of suffering within the sacred cosmos, Paulist Press, New York, 2017, 286 p.

Un rejet du modèle de la physique moderne qui nous empêche de voir la souffrance du monde. Ce qui amène à une anthropologie éco-théologique: espérance eschatologique, valeur intrinsèque de la création, communion sacrée avec le cosmos, et “kénose” qui est le mouvement même de la création, toujours à la limite de la vulnérabilité: processus évolutifs dans lesquels une nouvelle vie émerge de la mort et de la désintégration.
Le mal n'est pas une punition, mais les douleurs d'une enfantement. La cruciformité (assez féminine dans ses manifestations) de la création, s'enracine dans l'image d'un Dieu de compassion: la croix signe d'amour de Dieu pour toute sa création. L'humain est, là, solidaire de toute la souffrance du cosmos.

5. Karl W. Giberson, Abraham's Dice: Chance and Providence in the Monotheistic Traditions, Oxford Univ. Press, Oxford, 2016, 276 p.

Entre pur hasard et pur déterminisme, il faudrait faire appel à la notion de liberté, qui n'est ni hasard, ni déterminisme (p. 668).

6. Michel Bastit, Le principe du monde. Le Dieu des philosophes, P.U. de l'IPC, Paris, 2016, 264 p.

Recherche du “premier principe” selon la tradition thomiste. L'argument ontologique semble insuffisant. Il faut partir de la vision scientifique du monde, mais, contrairement à une vision mécanique comme celle de Laplace ou Hawking qui affirme la non-nécessité d'une instance extérieure pour l'existence du monde, il vaudrait mieux penser que “l'univers ressemble d'avantage à un animal ou une plante qu'à une machine” (p.205/669).

7. Bertrand Souchard et Fabian Revol (Eds), Réel voilé et cosmos théophanique: le regard de l'homme sur la nature et la question de Dieu, Vrin, Paris, 2016, 550 p.

Différents travaux très attentifs aux apports en ce domaine de la réflexion de Claude Tresmontant sur base de l'idée que l'univers ne peut pas se suffire à lui-même.

8. Bertrand Souchard et Fabian Revol (Eds), Controverses sur la création: science, philosophie, théologie, Vrin, Paris, 2017, 407 p.

La création comme notion philosophique dès les penseurs grecs; mais, également, difficulté d'une “théologie de la nature” par rapport au développement de la Christologie.

9. Bertrand Souchard, La théologie des énergies divines, humaines et cosmiques, Cerf, Paris, 2017, 264 p.

Une réflexion qui part de la théologie des énergies divines dans la pensée théologique orientale (Maxime le Confesseur et autres) pour l'appliquer à une synergie entre Créateur et créature: “L'énergie transcendante devient immanente” (p.69/670).

10. Christopher Lilley, Daniel Pedersen (Eds), Human origins and the Image of God: essays in honour of J. Wentzel Van Huyssteen, Eerdmans, Grand Rapids, 2017, 336 p.

À souligner: une contribution de Celia Deane-Drummond qui tente de chercher les sources de la morale dans l'évolution naturelle des espèces où tout n'est pas soumis à la seule “loi de la jungle”!

11. Celia Deane-Drummond, Technofutures, Nature and Sacred: Transdisciplinary Perspectives, Ashgate, Farnham, 2015, 290 p.

Il faudrait étendre la notion de création à la créativité humaine (dont les “techniques”). La réaction technologique par rapport à la nature “doit se muer en communion” et ne pas rester “extérieure” à la nature ce qui la rend technicisante et dominante. La kénose christique peut animer la relation humaine à la nature … et donc aussi à la technologie.

2. Écologie

12. Jean-Claude Eslin, Le Christianisme au défi de la nature, Cerf, Paris, 2017, 254 p.

Contre un anthropocentrisme exagéré (tel que mis en évidence par Lynn White qui accuse le Christianisme d'un anthropocentrisme qui nuit à la nature), l'Auteur ne veut pas non plus d'un naturo-centrisme. Il rappelle la primauté de l'histoire sur la nature et rappelle le “principe de responsabilité” de l'humain par rapport à un projet contemporain “nature” qui n'aurait pas de limites.

13. Thomas Michelet, Les papes et l'écologie. De Vatican II à Laudato Sí, Artège, Paris, 2016, 596 p.

Un relevé des interventions pontificales depuis Vatican II (Gaudium et Spes, 12 qui présente une vision très anthropocentrique: l'homme comme centre et sommet de la création) ainsi que du discours de Paul VI à la FAO (1970), jusqu'à Laudato Sí qui reconnaît la valeur propre de la nature … mais qui, en outre, inaugure une forme dialogale entre foi et raison en ces matières.

14. Fabien Revol (Ed), Penser l'écologie dans la tradition catholique, Labor et Fides, Genève, 2018, 350 p.

Lien de l'écologie avec la doctrine sociale de l'Église sous l'angle de la prise en considération du “bien commun”.
Dimension cosmique de la création et notion de “panenthéisme”.
Mise en évidence de témoins comme Hildegarde de Bingen, François d'Assise, Teilhard de Chardin.
Et, aussi, une attention plus particulière au monde animal et aux plantes, un peu négligés par Laudato Sí.

15. Celia Deane-Drummond, Ecology in Jurgen Moltmann's Theology, Wipf and Stock, Eugene, 2016, 298 p.

Souligne l'orientation eschatologique de toute la théologie de Moltmann. Avec une présence de l'Esprit au sein du cosmos et une nature qui acquiert une dimension historique et la rend partie prenante d'une histoire du salut.

16. Diarmuid O'Murchu, Incarnation: a new evolutionary Treshold, Orbis book, Maryknoll, New York, 2017, 247 p.

La sagesse de la nature est signe d'une omniprésence divine dont témoignent déjà les religions des peuples “premiers”. L'incarnation palestinienne serait une étape de l'incarnation totale de la divinité dans le cosmos. Une théologie inclusive de tout et de tous selon le proverbe africain illustrant le mot bantou “ubuntu”: “je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous”! (p.675).

3. Science et théologie

17. H. Floris Cohen, The rise of modern science explained: a comparative history, CUP, Cambridge, 2015, 302 p.

L'Auteur reprend les éléments d'une Somme qu'il avait écrite sur le sujet en 2010 aux Amsterdam University Press.
Selon lui, la science moderne est la convergence de 4 pôles: philosophique (Athènes et les Grecs), mathématique (Alexandrie), la recherche de l'harmonie (la Chine) et, finalement l'empirisme européen. Mais cette science contemporaine procède d'un athéisme méthodologique là où le Christianisme, religion ouverte au monde extérieur, propose aussi, face à la nouvelle cosmologie, une justification religieuse à la transformation du monde par la technique.

18. Katherine Calloway, Natural theology in the scientific revolution: God's scientists, Pickering & Chatto, London, 2014, 214 p.

Travail très bien documenté, semble-t-il, sur l'évolution moderne de la confrontation entre la science et les tentatives de réhabilitation d'une théologie naturelle .. qui a eu plutôt, jusqu'ici, l'effet de renforcer l'athéisme en ce domaine, surtout dans le monde anglo-saxon.

19. Efthymios Nicolaidis, Science et Orthodoxie. Des Pères Grecs à l'époque de la mondialisation, Garnier, Paris, 2018, 310 p.

Les débats sur ces sujets qui, du fait de la continuité linguistique dans le domaine grec, gardent une certaine unité depuis l'antiquité jusqu'aujourd'hui, montrent que tout au long de l'histoire de la “pensée grecque” le conflit entre la raison (philosophique et païenne) et la révélation (chrétienne) s'est poursuivi sur fond de la vision sous-jacente d'Aristote sur l'éternité du monde.

20. André Thayse, Science, foi, religions: irréductible antagonisme ou rationalités différentes, Academia, Louvain-la-Neuve, 2016, 166 p.

Hypothèse d'un “réel voilé” selon Bernard d'Espagnat, une hypothèse qui rejoindrait le thème biblique du “Dieu caché” et que pourrait soutenir la physique quantique.
Ensuite de quoi, l'Auteur veut montrer que la rationalité scientifique ne doit pas être confondue avec la foi qui est un autre type de démarche d'action intelligente.

21. Francesco Brancaccio, Ai margini dell' universo, al centro del creato. L'uomo e la natura nel dialogo tra scienze et fide cristiana, San Paolo, Cinisello Balsamo, 2016, 320 p.

La question de l'humain est décisive dans cette discussion, car “la foi n'a aucune compétence quant au fonctionnement du cosmos”. Quant à la raison humaine, il faut la prendre “dans toute son ampleur” (selon une expression de Josef Ratzinger dont la pensée sous-tend la réflexion de l'Auteur) (p. 679).
Et l'humain ne peut être considéré comme le simple produit de l'évolution du vivant. C'est le Christ qui révèle la vérité de l'homme, au-delà de ce que la connaissance scientifique peut dire car “Dieu a créé l'homme en vue du Christ et en Christ” (p. 276/679).

22. J.B. Stump, Science and Christianity: an introduction to the issues, Wilay Blackwell, Chichester, 2017, 194 p.

L'Auteur fait une bonne présentation des commencements de la science moderne, en soulignant l'apport historique du judéo-christianisme dans ces développements que l'on ne retrouve pas dans la civilisation chinoise par exemple.
Tout en acceptant le naturalisme méthodologique de la science, il faut prendre la mesure de ses limites (l'Auteur reprend une image proposée par Eddington : le filet de pêche qui ne ramène que les éléments plus grands que les mailles du filet … ce qui ne signifie pas qu'il n'existe rien d'autre plus petit que les mailles de ce filet!).

23. Joshua M. Moritz, Science and Religion: Beyond Warfare and toward Understanding, Anselm Academic, Winowa, 2016, 316 p.

Souligne l'existence d'une “loi naturelle” (voir “mathématique”) qui suppose donc un “législateur”.
Quant au “miracle” qui défierait ces “lois naturelles”, il semblerait que l'indéterminisme des phénomènes sub-atomique (théorie quantique) contredirait le déterminisme absolu d'une certaine vision scientifique.

24. Hans-Dieter Mutschler, Alles Materie – oder was? Das Verhältnis von Naturwissenschaft und Religion, Echter Würzburg, 2016, 208 p.

Critique d'un matérialisme théorique et pratique sous couvert de pensée scientifique. Cela mène à des visions désespérées du monde et de l'avenir humain, là où le théologien peut apporter une vision prophétique.

25. Edward J. Larson, Michael Ruse, On Faith and Religion, Yale UP, New Haven, 2017, 198 p.

“Propos clairement engagé … sur l'état de la planète et la nécessité d'une convergence entre scientifiques et croyants … pour assurer à l'humanité un avenir durable” (p.682). Une position nécessaire dans des États-Unis entre “nouvel athéisme” et “fondamentalisme religieux à résonance créationiste”. La question de l'évolution reste cruciale pour la pensée chrétienne.

26. John F. Haught, Resting on the Future: Catholic Theology for an unfinished Universe, Bloombury Academic, New York, 2015, 221 p.

Il faut penser un univers inachevé, une création en genèse. L'Auteur insiste sur la dimension dramatique de l'évolution. La souffrance est moins l'expiation d'un péché ou pédagogie divine que “signe d'une attente” (douleurs de l'enfantement).
“L'activité providentielle de Dieu consiste avant tout à fournir une vision (un rêve?) de la manière dont le monde peut devenir nouveau …” (p.100/684).

27. Alexei V. Nesteruk, The Sense of the Universe: Philosophical Explication o Theological Commitment in Modern Cosmology, Fortress Press, Minneapolis, 2015, 545 p.

L'Auteur, physicien d'origine russe, est aussi diacre et théologien orthodoxe. “D'emblée sont posées comme initiales, non les données scientifiques sur le monde, mais la liberté et la conscience humaines.” (p.684). Il ne faut pas chercher “la place de l'homme dans l'univers”, mais il faut “mettre l'univers dans l'humanité”.
Cela amène à affirmer que la cosmologie est une “science humaine” au sens où la personne humaine est engagée dans sa constitution (avec des relents de théologie apophatique: il y a de l'indicible) (p. 184/685).

28. Pierre Bourdon, “Vérité et Liberté se rencontrent”: La pertinence théologique et l'épistémologie de Micaël Polanyi, Cerf, Paris, 2017, 482 p.

Thèse sur l'apport de M. Polanyi. “Intuition, relation, responsabilité , confiance et engagement sont les mots-clés de la connaissance qui sont aussi déterminants pour l'action libre” (p.299/685). Sur cette base l'Auteur, à la suite de M. Polanyi, tente d'établir la relation mutuelle entre liberté et vérité en luttant contre deux “idoles”: le modèle mécanique de la science classique d'un côté, et le dogmatisme (ou prétention à avoir saisi la vérité), d'autre part.

4. Études teilhardiennes

29. Gianfilippo Giustozzi, Pierre Teilhard de Chardin. Geobiologia / Geotecnica / Neocristianesimo, Studium, Rome, 2016, 672 p.

Ouvrage de référence, chronologique et bibliographique, qui remplace le travail de Claude Cuénot (1958).
Avec une attention particulière à l'émergence du vocabulaire teilhardien.
Trois axes: scientifique (la logique du processus évolutif), anthropologique (élaborer une “science de l'homme”) et religieux (pour Teilhard de Chardin “il s'agit de refonder une théologie qui soit à la hauteur de la vision évolutive du monde”) (p. 687).
Une métaphysique de l'union où création, incarnation et rédemption sont les trois faces d'un même “processus d'unification entre Dieu et le monde” (p. 396/687).

30. Pierre Teilhard de Chardin, Das Herz der Materie und Das Christliche in der Evolution, Patmos, Ostfildern, 2018, 154 p.

Traduction allemande de “Coeur de la Matière” et de “Christique”.
L'Introduction (par Christian Modemann) attire l'attention sur le caractère “ignacien” de la démarche intellectuelle de Teilhard.

31. Philippe Capelle-Dumont, François Euvé (Eds), Pierre Teilhard de Chardin face à ses contradicteurs, Parole et Silence, Paris, 2016, 236 p.

Notamment: au-delà des critiques philosophiques (immanentisme, progressisme, remplacement de l'être par le devenir) une contribution de Dominique Lambert compare les démarches de Teilhard et de Ladrière: “La volonté de voir un “telos” chez le premier contraste avec la visée toujours inaccomplie d'un “eschaton” chez le second. Le fort désir de cohérence de Teilhard peut le conduire à des représentations trop systématiques donnant au teilhardisme l'apparence d'une gnose” (p. 689).

32. Zlatica Plasienkova (Ed), Teilhard de Chardin's Inspirations in the Contemporary World, Comenius University, Bratislava, 2017, 270p.

Écho de la présence de la pensée de Teilhard en Tchéquie, Slovaquie et Pologne. Notamment chez les chrétiens clandestins à l'époque communiste.

Conclusion

On peut reprendre une partie de la conclusion proposée par François Euvé: “…une approche scientifique plus fine que ne reflétaient pas les schémas de la science classique [qui nourrissent souvent un athéisme militant] … résonne aussi avec la sensibilité écologique où la notion centrale d'interdépendance peut entrer en consonance avec la notion biblique d'alliance. La profonde solidarité entre le Créateur et ses créatures supporte l'idée d'une “ création continuée ” qui fait l'histoire, y compris sous son aspect dramatique (cf. la place de la souffrance), une catégorie centrale pour parler de la création [les douleurs d'un enfantement]. L'alliance s'étend d'ailleurs au-delà de la seule humanité pour engager l'ensemble des créatures, à commencer par le monde animal. Il y a là un champ de recherches à poursuivre ” (p. 690).