Réfléchir correctement à l'ère quantique

Février 2021

La Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques (fondée en 1907 par les Dominicains de la Province de Paris) honore son titre quand elle s'intéresse aux progrès de la réflexion critique, de la science et de leurs relations à la nébuleuse théologique (que les Dominicains, avec saint Thomas d'Aquin, ont toujours tenu pour une “science”).
Le tome 103 , N°2-3 d'Avril-Septembre 2019 présente un important Bulletin portant sur La Théologie de la création et sur Sciences et Théologies (pp. 465-564).

Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques

Sa rédaction est due aux 9 membres du Groupe de Recherche Albert le Grand sur sciences et théologies (adresse: J. Fantino, 12 rue Pascal Le Coq, F-86000 Poitiers, France). Les 33 comptes rendus ne sont, en effet, pas signés individuellement; et l'ensemble est précédé d'une Introduction Générale qui montre le souci de faire de ces comptes rendus un discours critique structuré:

La plupart des questions de société tournent autour de l'humain. Plutôt que de se consacrer à elles en tant que telles, il nous a semblé plus pertinent de conduire une réflexion anthropologique qui permet de toucher à plusieurs thématiques: la relation corps-esprit, la dépendance par rapport à la technologie (numérique et Intelligence artificielle), la place de l'humain parmi les vivants, notamment les animaux, ce qui renvoie aussi à la question de la pluralité des mondes et donc à l'existence possible de différentes formes de vie. C'est pourquoi le Bulletin s'ouvre par une réflexion anthropologique (Section I) qui montre la nécessité de clarifier les éléments philosophiques sous-jacents (Section II). C'est ce travail qui permet le dialogue entre science et théologie. Il n'est pas toujours honoré, ce qui peut empêcher cette rencontre (Section III). Nous terminons par des ouvrages théologiques sur la création où la question anthropologique trouve sa place (Section IV). (p. 465).

L'avantage de ce type de Bulletin pour ceux qui ne sont pas confrontés quotidiennement et professionnellement à ces sujets majeurs, est d'apporter des matériaux contextualisés venant de plusieurs milliers de pages (plus de 12.000 pour la présente livraison) dont on n'aurait jamais le temps (ni la compétence) de les absorber par soi-même! Le risque est, évidemment, faute d'une compétence suffisante dans les matières traitées et présentées, de ne pas saisir les vrais enjeux et les vraies limites des réflexions reflétées.

I. Anthropologie philosophique

Wolfgang Detel, Warum wir nichts über Gott wissen können, Hamburg, Meiner, 2018, traite de l'inconnaissabilité de Dieu:

Nous ne pouvons connaître que l'infini potentiel mais pas l'infini actuel, car nous pouvons penser les étapes d'un processus infini, mais pas son point d'arrivée. Or, Dieu, en tant qu'être parfait, doit être conçu comme un infini actuel. Il n'est donc pas pensable” … ou encore “impossibilité pour un être infini et parfait d'être un esprit pensant [à l'image et par analogie avec l'humain] … l'agnosticisme ne mène pas à l'athéisme, mais à l'humilité devant l'univers”.
Commentaire : ce genre de réflexion peut aider le philosophe théiste à “éviter certains écueils que peut contenir une réflexion trop anthropomorphique sur Dieu” (pp. 466-467).

Bertrand Louart, Les êtres vivants ne sont pas des machines, Vaour, éditions La Lenteur, 2017, dénonce le

malaise social lié à la pratique d'une science construite sur la réduction du vivant à la machine” … “L'analyse conduit à un rejet de la “méthode scientifique” quand elle oublie qu'un être vivant est autonome dans son existence (p. 468).

Markus Gabriel (Bonn) achève de publier sa trilogie philosophique dont la traduction est publiée chez J.-Cl. Lattès, en 2014, 2015 et 2019. Titre de ce troisième volume en français: Pourquoi la pensée humaine est inégalable. La philosophie met l'intelligence artificielle au défi.
L'Auteur propose un “nouveau réalisme” qui s'oppose tant au courant métaphysique de pensée qu'au constructivisme (la pensée ne représente pas la réalité, mais une construction projetée par l'intelligence humaine sur cette réalité).
Selon lui, “pour savoir qu'un objet ou un fait existe, il faut qu'il y ait un champ de sens dans lequel l'objet ou le fait apparaisse” (p. 470), mais “l'esprit n'est pas identique au cerveau” (p. 471) ou encore “la philosophie de l'esprit, aujourd'hui, est une philosophie de la conscience” (p. 471).
Et son troisième volume entend montrer que, malgré les avancées de la recherche sur l'intelligence artificielle, la pensée humaine reste inégalable. En effet : … “la pensée humaine est un sens comme l'ouïe, l'odorat, le toucher, et fonctionne comme un processus de traitement de l'information … Les processus qui sont à l'oeuvre dans la pensée ne relèvent pas de systèmes non-vivants” (critique directe de l'intelligence artificielle) (p. 473).
L'Auteur aborde alors “la question de la numérisation qui pénètre toute la société et qui est fondée sur la logique à l'oeuvre dans les ordinateurs. Il considère que l'intelligence artificielle, fondée sur la logique, ne peut pas être une copie de la pensée humaine. En effet l'intelligence artificielle ne peut fonctionner que dans un contexte qui a déjà été traité par l'homme” … “ et d'ailleurs seuls les êtres vivants pensent” (p. 474).

Henri Atlan, Cours de philosophie biologique et cognitiviste. Spinoza et la biologie actuelle, Paris, Odile Jacob, 2018.
L'Auteur défend un monisme dans la ligne de Spinoza où corps et esprit constituent une seule et même réalité qui peut être appréhendée selon deux modes (pp. 476-477).
Selon lui:

…la transmission d'information, quand on l'utilise pour les systèmes moléculaires ou les réseaux de neurones, relève du registre de la physique, celui du corps, et quand elle sert dans les langages humains, verbaux et non verbaux, elle relève du registre mental, celui de l'esprit. De ce fait, l'information qui se rapporte au registre physique ne peut être interprétée en termes d'états mentaux qui relèvent du registre subjectif, celui de l'esprit” (p. 480).

Antonio Damasio, L'ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture. Paris, Odile Jacob, 2017 [traduction allemande également parue en 2017 avant l'édition originale en anglais parue en 2018].
Pour l'Auteur, “… l'évolution culturelle de l'humanité est issue de la conjonction des émotions et des sentiments avec la raison.” ... “ A.D. apporte aussi un éclairage sur la manière dont le cerveau et le corps interagissent afin de construire le “moi” de l'être humain” (p. 483).
“Il condamne la volonté transhumaniste d'immortalité et l'intelligence artificielle comme avenir de l'humanité parce qu'elles tentent de s'affranchir de la part biologique de l'homme. Or cette part biologique ne se limite pas seulement au corps, mais elle fait aussi partie du développement de la culture” (p. 486).

Ralph Adolfs and David G. Anderson, The Neuroscience of Emotion, Princeton, 2018.
Il s'agit d'une étude clinique d'optogénétique et d'imagerie du calcium (fonctionnement des neurones artificiellement provoqué dans le cerveau chez l'animal et chez l'humain): comportement cérébral commun en cas de consommation d'anxiolytiques, par exemple.

Maurice Sadoulet, De la matière à l'esprit. Un parcours de vingt ans en sciences cognitives. Conflits et enjeux, Lyon, 2018.
Une réflexion chrétienne qui “introduit une nouvelle définition de la matière, la plus large possible, pour récuser toutes formes de dualisme” (p. 489); un exposé qui “met en continuité l'évolution cosmique, l'évolution biologique et l'évolution de la culture” (ibid.) et qui se termine sur une ouverture à la transcendance (p. 490).

Frido et Christine Mann, Es werde Licht. Die Einheit von Geist und Materie in der Quantenphysique, Frankfurt-am-Main, Fisher, 2017.
La physique quantique permettrait de poser l'unité entre matière et esprit: “La matière serait formée d'énergie et d'esprit (Geistiges) … toute matière serait déjà porteuse d'une part de spirituel” et, dans cette perspective, “la matière est de l'information condensée; la vie de l'information signifiante et la conscience une information qui se connaît par elle-même” (p. 491). Le recenseur critique les auteurs de ce livre sous le prétexte qu'ils ne sont pas, en termes académiques, des “scientifiques de formation”: exemple typique de ce que j'aime qualifier de “cléricalisme académique”!!

Mathilde Lequin, Penser l'humain, PUF, Nanterre, 2018.
Ouvrage collectif et pluridisciplinaire. “Penser l'humain se fonde sur trois manière de l'étudier: le définir, le décrire et le raconter. Et ainsi proposer une réflexion sur les manières d'interroger l'humain.
Je note particulièrement la contribution de Ségolène Lepiller: Penser l'humain à travers ses premières productions graphiques … un domaine qui s'avère comme un lieu central pour penser l'humain” (p. 494).

Étienne Bimbenet, Le complexe des trois singes. Essai sur l'animalité humaine, Paris, Seuil, 2017.
Il s'agit d'une polémique contre la vision darwinienne qui affirmait:” La différence entre l'esprit de l'homme et celui des animaux supérieurs, aussi grande soit-elle, est certainement une différence de degré et non de nature” (p. 496). Et la première partie s'attaque au “zoocentrisme”: “Cette philosophie de la nature est critiquée par trois termes qui en dénoncent les fondements: le naturalisme, le moralisme et l'antimétaphysique” (p. 496).

Henry de Lumley, La Symbolique, le Sacré et l'Homme. Émergeance de la transcendance, Paris, CNRS Éditions, 2019.
Colloques tenus au Collège des Bernardins à Paris pour “dire la spécificité d'Homo Sapiens par le sens du sacré” (p. 499).

Jean-Gabriel Ganascia, Le Mythe de la Singularité. Faut-il craindre l'Intelligence Artificielle?, Paris, Seuil, 2017.
L'Auteur “veut montrer que la singularité technologique n'aura pas lieu, en dépit des annonces faites par de nombreux et prestigieux scientifiques ou responsables de compagnies informatiques” (p. 499). “Par singularité technologique, il faut entendre le moment où les hommes perdront leur autonomie par rapport à la technologie et seront contrôlés par l'intelligence artificielle, autrement dit ce serait le moment où les machines prendront le pouvoir” (p. 499). Mais ... “puissance de calcul ne veut pas dire la même chose qu'intelligence … il ne faut pas confondre “autonomie au sens technique” que les machines peuvent facilement acquérir, et “autonomie au sens philosophique” qui consiste à se donner ses propres lois et à inventer de nouveaux concepts” (p. 500).

Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, DDB, 2018.
“O.R. souligne … combien le transhumanisme s'inscrit dans une logique de compétitivité, tout comme l'eugénisme” ... “mais, l'homme vraiment augmenté, pour O.R., serait un homme véritablement adulte dont on aurait revitalisé les facultés spirituelles” (p. 503).

Francis Wolff, Philosophie de la Corrida, Paris, Fayard, 2019.
Curieuse apologie de la corrida comme valorisation des relations entre l'humain et l'animal.

II. Histoire des sciences et philosophie

Michel Blay, Critique de l'histoire des sciences, Paris, CNRS Éditions, 2017.
L'Auteur souligne : la différence de signification de la notion de science et de mécanique chez les Grecs par rapport aux visions contemporaine; de même, il y aura une vision du monde fondée sur l'unité du Logos en Jésus pour l'ère chrétienne; et puis une prédominance de la mathématique qui mènera à la notion classique de “science” avant une ère dominée par la vision d'un monde économico-cosmique et énergétique. Notamment: “N'y a-t-il pas, dit l'Auteur, une autre idée de nature à construire hors de la naturalisation des artifices, de la technique, de la valeur et de l'économie? Comment sortir de l'impasse étouffante de l'ordre économico-cosmique-énergétiste? Comment retrouver le sens d'un imaginaire assumant, comme autant d'ordres du monde, toutes les dimensions de l'expérience humaine, c'est-à-dire tout ce que cette expérience comporte aussi nous l'avons vu, d'indicible, voire de transcendant, d'invisible et de mystérieux?” (pp. 291-292 - p. 511).

Guilhem Golfin, Le Paradoxe naturaliste de la physique théorique. Une étude philosophique de la causalité scientifique, Paris, Cerf, 2018.
Le compte rendu salue l'essai de montrer les limites “idéalistes” de la vision actuelle de la physique … mais est très critique sur la solidité de la présentation de l'Auteur dans le domaine de la physique contemporaine.

Norbert Kalindula, Exigence critique, rationalité et méthodologie des sciences. Penser avec Jean Ladrière, Paris, L'Harmattan, 2019.
Disciple du philosophe de Louvain, N.K. balise le champ de réflexion qui mène de la logique scientifique à l'herméneutique des sciences humaines.

Athanase Papadopoulos, René Thom. Portrait mathématique et philosophique, Paris, CNRS Éditions, 2018.
René Thom (1923-2002) est un mathématicien français, père de la “théorie des catastrophes”. Son oeuvre inspirée d'une vision aristotélicienne des mathématiques permet une ouverture plus grande de la “science” à l'intuition et à la philosophie.

Ernando Zalamea, Philosophie synthétique de la mathématique, Paris, Hermann, 2018.
L'Auteur propose une nouvelle épistémologie.

Hubert Faes, La philosophie des sciences de Dominique Dubarle, vol. I, Paris, Ediline, 2018.
“…l'originalité de l'approche de Dominique Dubarle [Dominicain de la Province de France, 1907-1987] est de retourner les questions et de mettre l'accent sur l'apport de la théologie croyante aux sciences …” (p. 523).

Thibaut Gress et Paul Mirault, La Philosophie au risque de l'intelligence extraterrestre, Paris, Vrin, 2016.
Si la réflexion sur la pluralité possible des mondes est très diversifiée, les différentes contributions de ce Séminaire montrent un accord sur 7 principes au fondement de la réflexion: “1° Principe d'homogénéité et d'uniformité : tout est constitué d'un substrat partagé par tous les mondes; 2° Principe de plénitude : ce qui est possible doit être réalisé; 3° Principe d'unité : il y a une harmonie du cosmos; 4° Principe de finalité : rien n'existe sans avoir une finalité; 5° Principe de toute-puissance divine: on ne peut limiter la puissance du créateur à un univers unique; 6° Principe anthropique: l'homme est le sommet de la création et rien ne saurait exister qui ne soit ordonné à la place éminente où se lient la matière et l'esprit; 7° Principe de scepticisme: seulement ce qui est vérifié peut être pris comme fondement pour un travail scientifique” (p. 524)

III. Science et Théologie

Ce qui a été dit en philosophie montre que la considération théologique n'est pas une intrusion. Elle répond à des questions qui concernent autant la place de l'humanité dans le monde des vivants que la pluralité des mondes. Cette approche théologique a une spécificité en christianisme (p. 525).

Andreas Losch (dir.), What is Life? On Earth and Beyond, Cambridge University Press, 2017.
“Ouvrir la réflexion à l'éventualité d'une vie extra-terrestre” (p. 525).
L'émergence de la biologie moléculaire … “s'interroge sur la manière de considérer les virus comme des organismes vivants ou non” …” la vie peut alors être comprise comme un processus contingent créatif inscrit dans une histoire” (p. 526).
Pour l'origine de la vie, les auteurs font référence aux travaux de Christian de Duve: pas d'explication scientifique par référence à un acte intentionnel; pas non plus d'émergence par hasard (sans écarter la possibilité que l'apparition de la vie soit “un coup de chance”!) (p. 527)
Pourrait-il y avoir dans l'univers une ou des intelligences supérieures à celle de l'homme? Une vision téléologique et non centrée trop sur l'homme devrait permettre aux astrobiologistes de concevoir une vie extra-terrestre comme téléologique et donc éventuellement consciente.
Une autre contribution affirme que dès qu'il y a de la vie, il y a une “intelligence” qui est alors définie avec des critères comme: intériorité, intentionnalité, communication, adaptation, résolution de problèmes, autoréflexion, jugement ... qui fait que tout être vivant possède au moins l'un de ces critères.
Quant aux conséquences christologiques d'une éventuelle vie extra-terrestre, les auteurs rejoignent Teilhard de Chardin avec la vision d'un Christ cosmique. (pp. 527-529).

Michael Fuller et alii, Issues in Science and Theology: Are we special? Human Uniqueness in Science and Theology, Cham (CH), Springer, 2017.
Il s'agit des Actes d'un Colloque tenu en 2016.
Singularité de l'humain dans l'univers; place de l'humain dans l'évolution; rapport de l'humain à la culture et aux technologies, perspectives philosophiques et théologiques : tous ces sujets supposent deux formes de rationalité: scientifique et théologique, pour comprendre la singularité humaine. “Le mal est explicable, il est donc rationnel” (p. 531) mais “le mal moral dépend d'agents pouvant choisir entre le bien et le mal” (p. 531).

Aurélien Barrau, Des univers multiples. Nouveaux horizons cosmiques, Paris, Dunod, 2017.
“Le chapitre IV (La mécanique quantique et ses mondes parallèles) spécule sur les possibilités ouvertes par le fait que la mécanique quantique ne soit pas strictement déterministe. Elle laisse place à l'imprédictible mais hautement probable production d'univers soumis à d'autres lois que celles qui règnent sur Terre. Cette éventualité permet de présenter une histoire des premiers temps, ceux qui ont précédé la formation de notre univers, comme formation d'autres univers, inaccessibles dans le prolongement de nos connaissances. C'est le sens du terme “multivers” proposé par Everett, où il s'agit des “univers parallèles”.”(p. 534).

Jean-Philippe Uzan, Big-bang. Comprendre l'univers depuis ici et maintenant, Paris, Flammarion, 2018.
L'auteur montre que les théories cosmologiques dépendent d'options philosophiques. Il faut donc évaluer la validité de ces présupposés. Et l'on peut montrer dans l'histoire de la pensée humaine l'évolution de ces présupposés … et donc de la validité d'une théorie cosmologique qui “extrapole un modèle au-delà de son domaine de validité” (p. 536).
“Pour lui, le point central de la cosmologie comme science est actuellement la notion d'inflation. L'inflation, dit-il, est une extension permettant de résoudre de façon unifiée, la plupart des problèmes préexistants du Big bang, tout en fournissant une prédiction sur la distribution des grandes structures. Ces modèles d'inflation sont bien sûr plus spéculatifs et controversés que le Big bang chaud. C'est naturel: ils reposent sur une physique non établie” (pp. 536-537).

Stephane Hawking, Brèves réponses aux grandes questions, Paris, Odile Jacob, 2018.
Le compte-rendu relève, comme nous l'avions fait, l'absence “significative” de référence aux travaux de Georges Lemaître pour la théorie du Big bang devenue le bien commun de tous les cosmologues (voir NAM-IP/INFO 2019/1) et attribue cette absence au “réductionisme” de l'Auteur.
“Le livre montre bien la pensée dominante de la culture occidentale où la science est paresseusement présentée comme la seule voie de la pensée rationnelle. Il montre en quel sens la culture s'enferme dans une considération sur le monde et la condition humaine sans transcendance ni espérance” (p. 540).

Trin Xuan Thuan, Vertige du cosmos, Paris, Flammarion, 2019.
“L'homme est l'enfant des étoiles et l'univers a été réglé de façon extrêmement précise dès son début pour permettre notre apparition” (p. 541).
Et, du point de vue de la pensée orientale (TAO): “le ciel profane de l'homme est redevenu sacré comme il l'était jadis” (p. 542).

Étienne Klein, Matière à contredire, Paris, Éditions de l'Observatoire, 2018.
Il s'agit surtout d'une réflexion sur la temporalité et la durée.

Andrew Briggs et alii, It keeps me Seeking: the Invitation from Science, Philosophy and Religion, Oxford University Press, 2018.
Une approche chrétienne du travail scientifique.
“Questionnement de la physique quantique qui … joue un rôle paradigmatique pour toute recherche scientifique” (p. 546).

André Thayse, Mathématiques, physique, métaphysique. Les voies du réel. Préface de Philippe Mawet, Paris, L'Harmattan, 2018.
Réflexions tirées de l'enseignement de l'Auteur sur l'Intelligence Artificielle à l'université de Louvain-la-Neuve.

IV. Théologie de la Création

On se trouve ici dans le cadre de l'anthropologie théologique.

Joshua R. Farris et Charles Taliaferro (éd.), The Ashgate Research Companion to Theological Anthropology, Abingdon, UK, Routledge, 2015.
Jésus-Christ est la révélation de la véritable humanité (p. 548).

Andrew Lindzey, Théologie animale, éditions One Voice, 2019.
“Le pouvoir de l'homme sur la nature doit être compris … comme un service” (p. 550).
“Le Christ est sauveur de l'univers (tou pantos) et pas seulement sauveur de la seule espèce humaine” (p. 551).

Veli-Matti Kärkkäien, A constructive Christian theology for the Pluralistic World, vol. 2 Trinity and Revelation, Eerdmans, 2014; vol. 5 Hope and Community, Eerdmans, 2017.
“V.M. K. … considère qu'il faut sortir de cette doctrine théiste de Dieu [héritée du Moyen-âge et des Pères de l'Église]. Il voit la solution dans le “tournant panenthéiste” de la théologie contemporaine … qui tient, d'un côté, que la création est en Dieu et Dieu dans la création; et, de l'autre, que Dieu est au-delà du créé” (p.556). … Ce qui permet d'expliciter la relation du dieu trinité à la création … Le créé “étant destiné à la création nouvelle … ce qui mène à une théologie écologique de la création” (p. 507).
“Concernant l'être humain, V.-M. K. tient la continuité dans le maintien de l'identité et d'une existence corporelle. La discontinuité est dans la condition nouvelle de la corporéité. L'intérêt est dans la manière dont V.-M. K. rend compte théologiquement de ces deux aspects. L'identité personnelle se construit dans le fait d'être à l'image de Dieu. Quelle que soit la signification donnée à l'image, elle consiste dans une relation à Dieu et donc dans une dépendance par rapport à lui. Le fait d'être à l'image du Créateur, il appartient à l'humain de développer son identité selon ce don, mais c'est le Créateur qui opère le passage à la condition de création nouvelle ce qui constitue l'identité de la personne. Ce point mérite attention. V.-M. K. développe une compréhension de la continuité de l'identité de la personne comme un ensemble (un schème) porteur de l'information qui préside à tout moment à l'organisation de l'existence corporelle de l'être humain et au maintien de son histoire. Cet ensemble est gardé dans la mémoire de Dieu, c'est-à-dire dans un lien causal immanent entre l'Esprit et la personne humaine” (pp. 558-559).

Fabien Faul (dir.), Théologies et Sciences. Compréhension du monde et de l'homme, regards croisés, Paris, Cerf, 2017.
Présentations d'un colloque tenu à Paris en juin 2014.
On notera la contribution de Pascal Levaou (le point de vue de la psychologie) sur les récits de la résurrection de Jésus dans les Évangiles: il réfute catégoriquement, du point de vue la psychologie clinique et de la psychanalyse, les thèses qui y voient des “hallucinations” des témoins (comme G. Lüdemann et d'autres) en constatant que “les récits évangéliques sont marqués par une distanciation … tout à l'opposé de ce qui caractérise le processus psychotique dans lequel le doute n'a pas sa part” (p. 560).
L'intervention de François Nault décrit le Dieu de la Bible comme un “Dieu paresseux” et Jésus comme un maître incitant à laisser les soucis du “travail” … le vrai “sabbat” seul achève la création! (p. 561).

Conclusion

Ce riche ensemble de publications et la présentation qui en est faite montrent le bouillonnement d'une réflexion critique planétaire qui semble être stimulée d'une part par les perspectives nouvelles offertes par l'indécidabilité de la mécanique quantique, et, d'autre part, par une observation nouvelle des frontières dans lesquelles la conscience humaine se développe. Si l'humain semble rester “inégalable” d'une part par rapport à une matière dont témoigne le vivant et l'intelligence dont il est doté, et, d'autre part, par rapport à un “multivers” (ou pluralité possible d'univers antérieurs, parallèles ou au-delà de l'humain et de son destin) et à des intelligences possibles hors d'atteinte de la connaissance humaine … c'est en raison d'une ouverture de l'intelligence humaine à une transcendance.

La réflexion chrétienne peut, sur ce terrain, critiquer un scientisme auto-référentiel et “idéaliste” en apportant à la réflexion critique une perspective de transcendance et d'espérance que Teilhard de Chardin a nouée autour de sa vision d'un Christ cosmique.

J'ai également aimé l'idée d'une vision “pan-enthéiste” qui permet d'intégrer le panthéisme humain naturel, fondement de la religiosité, à une vision théologique critique et ouverte.
J'ai aimé également l'idée de considérer le Dieu de la Bible comme un “Dieu paresseux” et son Fils Jésus comme révélateur du non-travail qui doit mener de la création au “Sabbat” du 7e Jour!

R.-Ferdinand Poswick