Mémoire et conscience

Janvier 2021

On peut hésiter à mettre sous le label “veille culturelle” ou sous celui de “veille spirituelle”, ou vice-versa, les sujets que nous y avons insérés. “Mémoire” et “Conscience” sont, en effet, des outils du savoir humain parmi les plus directement impliqués dans une démarche de foi religieuse. Mais, avant tout, ils restent des vecteurs bien incarnés de la structure de présence proprement humaine à ce monde planétaire avec lequel l'humain fait corps. Avec une perspective teilhardienne, le magazine Noosphère explorera la vision actuelle de celui qui est “conscient d'être conscient”, tandis que le Hors Série du magazine Plus Santé, en collaboration avec la Fondation Recherche Alzeimer, nous offre Le Guide de la Mémoire.

Noospehere Noospehre Guide de la mémoire

1. Le Guide de la Mémoire

Un des outils majeurs de la conscience, de la connaissance et de la compréhension est constitué par le système mémoriel, un système d'accumulation de données expérimentales qui, par analogies, aidera les actions en situations sans cesse renouvelées.

Plus Magazine, en collaboration avec la Fondation Recherche Alzeimer, a produit un Hors Série au 3e trimestre de 2020 sous le titre Le Guide de la mémoire (98 pages).
Destiné à un large public, il s'agit évidemment d'une somme de vulgarisation. Mais le dossier est très complet et donne un état des connaissances actuelles en ce domaine.
Ce qui semble certain, c'est que la mémoire, comme la plupart de nos capacités physiques, demande à être exercée pour être performante. Dans cette perspective, les facilités offertes par toutes les “applis” (applications programmées et électroniques) disponibles “en ligne” rendent un très mauvais service à nos mémoires en mettant à disposition une sommes de données que notre cerveau n'a plus à traiter avec ses outils de mémoire (table de multiplication, agenda, répertoire téléphonique, adresses, dates, etc)!
Si un choc (accident, deuil, anesthésie ou autre) peut être à l'origine de pertes de mémoire, cette mémoire continue de fonctionner et peut être restaurée ou renforcée par l'exercice.
Il y a d'ailleurs plusieurs types de mémoire: la mémoire procédurale (comment faire du vélo ou comment nager), la mémoire immédiate ou à court terme, la mémoire longue, la mémoire sociale (le relationnel fait mémoriser).

La mémoire est, en effet, liée à tout le réseau du système nerveux, même si elle est stockée dans des neurones du cerveau qui sont en interaction entre eux par des impulsions électriques et chimiques. La mémorisation semble, en effet, se faire dans les différents centres fonctionnels du cerveau (audition, vision, locution, motricité, etc) avec un rôle particulier pour le cortex cérébral et plus particulièrement pour l'hippocampe qui se trouve sous le cortex (une zone qui semble plus développée chez la femme que chez l'homme).
La mémoire est faite des connexions entre les neurones de ces différentes zones. Mais “les connexions inutilisées pendant une longue période finissent par mourir”. Il semble que le centre commandant la mobilité a un rôle important dans la mémorisation; et donc, l'exercice physique serait un excellent stimulant pour la mémorisation!

Tout ceci commence à être bien connu parle croisement des informations médicales qui viennent de la radiologie (rayons X), de l'angiographie (ou artériographie), de la tomographie (ou Ctscan), de l'IRM (imagerie par résonance magnétique), de la DTI (imagerie du tenseur de diffusion), l'imagerie par rayons Gamma (marqueurs radioactifs), de l'échographie (ondes ultrasons) ou de l'électroencéphalographie (notamment pour suivre les mouvements cérébraux durant le sommeil).

Le sommeil semble d'ailleurs être un temps privilégié pour la fixation mémorielle des sensations ou captations de réalités faites durant l'éveil. Et, ici, de nombreux conseils de “bon sens” sont proposés, notamment: “Bannissez de votre chambre smartphones, tablettes, ordinateurs portables et télévisions ... et ne pas dormir moins de 6 heures ou plus de 9 heures”! Mais également: importance d'une saine nutrition, voire même de la mastication: “des scientifiques taïwanais indiquent que la mastication stimule la production de nouvelles cellules cérébrales…” (p. 35).
La mémoire évolue tout au long de la vie, tout comme le corps. À l'enfance et à l'adolescence, on trouve des potentialités majeures de mémorisation qui vont se figer petit à petit avec un système de sélection mémorielle faisant passer tout nouvel impact extérieur par une comparaison avec ce qui a déjà été acquis (vu, entendu, ressenti, etc).
La curiosité, la répétition (surtout le soir avant de dormir) et l'ordonnancement des éléments captés, font partie des outils privilégiés pour activer la mémorisation. Mais utiliser et s'efforcer de raffiner les “cinq sens” sont des voies pour renforcer la mémoire : “on ne peut vivre sans contact physique, sans toucher et être touché” (p. 69).
Dans les dernières pages (pp. 77-97), le magazine présente une série de tests et de jeux qui peuvent servir à exercer la mémoire … un vrai défi selon les structures intellectuelles, visuelles, mathématiques ou logiques de chacun!

2. Repenser la Conscience

C'est sous ce titre (Repenser la Conscience) qu'est publié le Hors-Série de la revue teilhardienne Noosphère (Saint-Léger éditions, Mai 2020) qui donne les Actes d'un Colloque qui s'est tenu au Centre Sèvres à Paris les 29-30 novembre 2019.

Une dizaine d'intervenants avaient été rassemblés par les Amis de Pierre Teilhard de Chardin, les Facultés Jésuites de Paris et l'association UP for Humanness.

“Depuis les Lumières, la conscience a quitté le statut de simple loi morale encadrée par les religions, pour devenir un sujet philosophique, scientifique, puis psychanalytique par le biais de l'inconscient. Les nouvelles avancées des neurosciences enrichies notamment par la physique quantique, nous font progresser plus avant encore ns sa compréhension et nous incitent à repenser la conscience”

… ainsi s'ouvre la présentation de ce cahier.
Cette conscience, dont Descartes a pressenti toute la force philosophique dès le XVIIe siècle par son je pense donc je suis, Chantal Amouroux nous dit, en ouvrant le Colloque que:

“certains philosophes vont montrer qu'elle n'est pas localisée en un lieu précis, mais qu'elle surgit brusquement à chaque fois que notre attention se porte sur une des messages issus de nos sens ... l'Espace Neuronal de Travail Conscient (ENTC) … d'autres scientifiques décrivent aussi un deuxième réseau de neurones formé par les Structures Médianes Corticales (SMC) qui, étant en contact étroit avec le centre de la mémoire, va nous donner l'impression d'avoir des pensées auto-référencées. Et comme ce deuxième réseau est actif en continu, le sentiment du Moi est ainsi permanent … Mais notre Moi ne serait que virtuel, formé d'agrégats d'événements intermittents … ce que les neurobiologistes du XXIe siècle semblent bien confirmer.”

… annonce Chantal Amouroux dans cette présentation initiale. Et elle poursuit:

“Qu'est-ce que la conscience? … le Petit Larousse en donne une définition simple et efficace: La conscience est la capacité à s'apercevoir de…”

Mais elle prévient que l'on rencontre cela également chez les animaux et dans les végétaux. Le propre de l'humain étant de pouvoir “se prendre lui-même comme objet d'une telle attention”.
Certains scientifiques vont, aujourd'hui, plus loin: si notre conscience n'était que le récepteur d'une conscience cosmique, on pourrait attribuer un tel type de conscience à tous les “systèmes intégrés” … et donc, imaginer d'en transférer les éléments sur un support non-humain selon les transhumanistes.
Même si cela reste très débattu, on rejoint là une intuition de Pierre Teilhard de Chardin: “un esprit émergeant de la matière” et un “dedans” de cette matière qui devient de plus en plus personnellement conscient à mesure de l'évolution!

Au-delà de cette présentation introductive, la notion de conscience va être examinée sous différents aspects par les intervenants.
Bertrand Vergely montre la proximité de certaines intuitions de P. Teilhard de Chardin avec la pensée d'Henri Bergson:

“Quand la conscience n'est pas vécue à l'origine, il est fatal qu'à la fin elle meure. Quand, à l'inverse, la conscience est vécue de l'intérieur, il en va autrement. Partant de la conscience de la matière, on voit la matière comme expérience de la conscience s'étendre en mettant à jour des champs de conscience de plus en plus enrichissants, allant de la matière à la vie, de la vie à l'homme et de l'homme à l'avenir de l'homme qui se trouve dans le méta-humain” (pp. 22-23).

Comparant la conscience animale et la conscience humaine, Norin Chai conclut:

“Alors, conscience ou pas conscience? En fait, la question est la même que “être ou ne pas être”? Soit vous êtes juste localisé, égotique, coincé dans votre propre monde, et vous voulez que le monde vous ressemble, alors que c'est juste votre propre monde. Soit vous êtes dans un état où vous savez que vous êtes le monde, alors vous ne cherchez plus à faire mais seulement à être. Là vous êtes dans la conscience. Mais si vous êtes dans une pensée plus intellectuelle qui cherche à cadrer et à étiqueter, vous n'êtes que dans le faire et non dans l'être” (p. 31).

À partir d'une confrontation entre Paul Ricoeur et Jean-Pierre Changeux (L'homme neuronal, 1983), Jean-François Petit cherche le lien de la notion de conscience avec la réflexion philosophique:

“Un philosophe des mathématiques comme Husserl voulait que la philosophie – et en particulier la phénoménologie ‒ ne soit pas moins rigoureuse que les disciplines expérimentales. Mais n'était-ce pas faire fi de l'équivocité fondamentale du langage? Sur l'autre versant de notre polarité, pourquoi dénier systématiquement à la science comme on le fait dans certains milieux, sa volonté de participer à une explication ultime du monde? Ainsi, pourquoi une connaissance approfondie de nos neurones ne permettrait-elle pas de conduire à une meilleure compréhension des relations humaines?” (p. 34).

Paul Ricoeur semble attiré par une telle perspective:

“Paul Ricoeur décèle avec raison l'attrait du naturalisme contemporain pour un étayage de l'éthique dans le biologique, ici, en l'occurrence, le neuronal, ce qui lui donnerait une plus grande assurance.” (p. 37)

Mais Jean-François Petit poursuit:

“On saura gré au biologiste [Changeux] d'avoir allégé ses ambitions de façon explicite dans L'homme de vérité, son livre de 2002, p. 113: Certaines thèses contemporaines reprennent l'idée que le développement de la conscience est lié à la complexité du système nerveux. Toutefois, un simple accroissement de complexité ne suffit pas à lui seul à rendre compte du développement de la conscience. Le problème de son origine reste donc entier. Il constitue un défi majeur pour notre temps” (p. 37).

Avec Dominique Vibrac (pp. 41-46), c'est la consistance de l'inconscient qui est mise en évidence:

“J'entends en particulier mettre en relief la nature spéciale de l'inconscient pour Jung. Mais si le terme semble au départ traduire un manque, celui de la conscience claire et éveillée, il recouvre toutefois, en définitive, une force positive, une lucidité, qui nous parle et peut nous guider. Nous ne devons pas nous représenter l'inconscient d'abord comme la carence de prise de conscience mais comme une source participant peut-être d'une source plus profonde. L'inconscient n'est pas seulement l'ombre de la conscience mais ce qui la travers et la supporte de l'intérieur, lui imprime un dynamisme de croissance et de vie” (p. 41-42).

Quant à Michel Bitbol, il explore la confrontation de la conscience à la science:

“L'être humain connaissant a d'abord cherché à adopter une position extérieure et supérieure sur ce qu'il y a à connaître; et ce sont les limites des connaissances acquises sous ce présupposé qui l'ont obligé à reconnaître sa position intérieure et engagée dans le milieu de la connaissance. Pour voir ce renversement historique à l’œuvre dans les sciences, il suffit de penser à la physique quantique. Elle est née comme une tentative de dépasser la physique classique sur son propre terrain de la distanciation objectivante. Mais elle a été confrontée à la contextualité insurpassable des phénomènes, à l'impossibilité d'un détachement intégral de ses objets vis-à-vis des instruments de l'étude” (p. 52)
[…]”L'intérieur, notre intérieur, est l'unique étalon de l'intériorité des choses et du monde, il en est d'ailleurs l'unique lieu d'auto-donation, mais il en est plus profondément l'unique éclosion.” (p.54) […] “C'est précisément ce basculement du regard qu'a éprouvé Teilhard de Chardin et qui sous-tend toute son œuvre, tout particulièrement Le Phénomène humain. Il s'exprime en une phrase concise: “Puisqu'en un point d'elle-même, l'Étoffe de l'Univers a une face interne, c'est forcément qu'elle est biface par structure, c'est-à-dire en toute région de l'espace et du temps […] coextensif à leur Dehors, il y a un Dedans des Choses” (p.52-53). En vertu de l'acte fondamental d'identification de soi à un fragment de “l'Étoffe de l'univers”, l'univers entier se voit attribuer un “intérieur” semblable à celui de soi-même; chaque entité extérieurement visible est complétée par un voyant qui la double. Et tout le devenir de l'univers, y compris en ses phases les plus élémentaires, est lu sous ces deux aspects du perceptible et du percevant: “au fond de lui-même, écrit Teilhard de Chardin, le monde vivant est constitué par de la conscience revêtue de chair et d'os” (ibidem, p. 135)” (p. 54). […] “Les êtres vivants n'ont fait qu'habiller de leur chair la conscience universalisée et leur chair est donc la face visible de la conscience” (p.55).

Thierry Magnin réfléchit à “La conscience au temps des NBIC, de l'IA et des Neurosciences” (pp. 60-73). Notamment:

“L'animal doté d'une conscience primaire… est esclave du présent. Il vit donc dans l'instant et uniquement dans l'instant. Dans cette perspective, la langage articulé joue un rôle essentiel dans le processus d'humanisation. Grâce au langage, en effet, l'être humain devient capable d'une représentation complètement déconnectée des stimuli de l'instant présent. Il devient capable de faire la distinction entre réel et imaginaire, entre passé, présent et avenir. La conscience d'ordre supérieur ouvre à une prise de conscience du temps. L'être humain est “conscient d'être conscient”. Le langage introduit une médiation importante entre l'individu et l'environnement qui lui donne une capacité de distanciation et d'élaboration de stratégies” (p. 68).

Pour ce qui est du transfert éventuel de la conscience humaine vers des “machines”:

“Les machines pourront-elles éprouver l'amorisation et y apporter leur réponse libre pour coopérer dans une optique de calcul? On peut a minima en douter! Or l'amorisation de Teilhard, et surtout du Christ, Alpha et Oméga, sans lequel le système de Teilhard ne tient pas, ne se calcule pas. Il est de l'ordre du don gratuit.” (p. 72).

Emmanuel Ransford étudie “La conscience à l'ère quantique” (pp. 74-85). Pour traiter une telle question, l'Auteur veut être sûr que l'on a affaire à une façon de pratiquer la science qui soit libre de tout présupposé idéologique dans l'esprit de la citation longue qu'il donne d'Henri Poincaré:

“La liberté est pour la Science ce que l'air est pour l'animal: privée de liberté, elle meurt d'asphyxie comme un oiseau privé d'oxygène … la pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être” (p. 74).

Et l'Auteur de la communication de poursuivre:

“Quoiqu'on en dise, personne ne peut dire aujourd'hui de façon testable ou falsifiable, comment la conscience naît dans le cerveau. Aussi la conscience cérébrale demeure un grand mystère. Il m'a semblé qu'une question plus concrète et plus facile pour approcher ce difficile problème était celle de l'interface. Cette dernière concerne notamment les interactions motrices et sensorielles entre le système nerveux et le cerveau biologique d'une part, et nos états conscients pas nécessairement d'origine strictement matérielle de l'autre. Cette interface engendre la fonction sensorimotrice des biologistes. À ma connaissance, aucune approche dualiste du mental n'a su l'identifier” […]”Si le libre arbitre existe, alors il perturbe et modifie le fonctionnement normal du cerveau. Sinon, ses initiatives et ses décisions, motrices notamment, seraient sans effet ni impact sur nos gestes et comportement. Or, c'est amplement démontré aujourd'hui, le cerveau obéit strictement aux lois de la physique et de la chimie. Cela ne laisse aucune place dans le fonctionnement neurobiologique du cerveau pour la moindre influence immatérielle. Par conséquent, le libre arbitre, qui, s'il existait, créerait une telle influence, est illusoire. Mais ce raisonnement est fallacieux, car il s'appuie sur une hypothèse implicite qui nie et néglige la possibilité que l'influence ou l'action du libre arbitre soit incluse dans les lois de la matière. Or, on ne peut exclure a priori que quelque chose qui s'apparente au libre arbitre soit pris en compte dans la forme même des lois physiques. Mais, dans ce cas, où trouver l'indice d'une telle prise en compte? Comment l'identifier? La recherche d'une réponse éventuelle m'a poussé à étudier les lois intimes – donc quantiques ‒ de la matière. Ainsi ma quête m'a orienté vers la physique quantique.”(pp. 74-75).

Et l'Auteur conclut en évoquant les intuitions de Teilhard de Chardin pour les rapprocher de la façon dont se perçoivent aujourd'hui les descriptions quantiques de la matière et de l'univers:

“Teilhard écrivait par ailleurs: La conscience a une extension cosmique. Il parlait de noosphère ou de sphère de pensée collective. Ceci m'évoque la grande toile suprale. Celle-ci est formée par l'ensemble des soudures endo-causales qui lient beaucoup d'objets quantiques dans l'univers. Ces soudures, que je baptise les liens suprals, sont , par nature, invisibles, psychiques non locaux (en note: Les soudures endo-causales, partielles ou totales, entre les particules, que j'appelle aussi les liens suprals, tissent dans les immensités de l'univers un gigantesque réseau global de partages et de solidarités. C'est ce réseau évolutif qui est la grande toile supral. …). Ces liens sont indifférents aux distances matérielles et leur extension spatiale est virtuellement illimitée.ils engendrent la propriété d'intrication, qui a été confirmée expérimentalement. Ils donnent au psychisme et à la conscience une extension cosmique, ce que Teilhard décrivait comme coextensif à son dehors, il y a un dedans des choses.” (p.84).

Dans sa communication intitulée “De la conscience individuelle à la conscience collective”, Diane Van Haech d'Audiffret, docteure en génétique, interroge la génétique par rapport à la conscience humaine et peut affirmer:

“Une destinée humaine ne se réduira jamais à un destin génétique. … Cette incertitude prend quelques-unes de ses racines dans les mécanismes génétiques eux-mêmes, c'est-à-dire dans la matière vivante. Alors que nous aurions pu envisager notre génome comme figé, puisque unique pour chacun d'entre nous, il nos est au contraire révélé vivant, dynamique. Il est perméable à l'environnement dans lequel je vis, à ce que je vis, à mon mode de vie … C'est ce que l'on appelle l'épigénétique. Cette perméabilité est certes vulnérabilité et pourtant c'est sûrement ce qui permet de persévérer dans l'être” (p.91).”La génétique nous révèle donc la vulnérabilité comme condition vitale de notre humanité et comme signe du mystère de notre existence. Invitation à l'humilité et à la démaîtrise.” (p.92). “La génétique, base de la médecine personnalisée, nous rend compte de notre unicité. Six millions de paires de bases sur six milliards nous sont totalement personnelles. Elle rend compte également de nos liens, de notre altérité intrinsèque. En effet, nous partageons nos gènes puisque mon génome est l'héritage brassé des génomes de mes deux parents, eux-mêmes hérités d'un brassage génétique à l'origine de l'évolution des espèces. L'autre et les autres me constituent alors et je les constitue.” (p. 92-93). “Ce partage des gènes révèle donc nos liens et nous invite à transformer notre regard sur l'autre et les autres, à les envisager dans une interdépendance. Nous sommes, en effet, les membres uniques, mais aussi constitutifs et constitués des autres, d'une même humanité. Révélation d'une altérité intrinsèque. Cela nous a conduit à nous interroger sur nos droits et nos devoirs, souvent tiraillés en génétique entre droit à l'intimité, au respect de sa vie privée et devoirs vis-à-vis de la santé d'autrui” (p.93). “La génétique entraîne bien une révolution scientifique et médicale avec de grands potentiels thérapeutiques, mais elle porte aussi en elle des révélations sur notre condition d'humanité qui nous invite à revisiter une éthique du soin et peut-être notre manière de faire société” (p. 93).

La dernière contribution du recueil est celle du P. François Euvé, s.j. sur “La conscience chez Pierre Teilhard de Chardin” (pp. 97-104). Il observe, notamment:

“La particularité humaine de la conscience ne doit pas empêcher d'envisager le fait qu'elle concerne l'ensemble de l'univers et que l'on peut intégrer cette notion de notre compréhension scientifique du monde, à l'encontre du préjugé selon lequel la conscience ne relèverait pas du champ des sciences: “L'apparente restriction du phénomène de conscience aux formes supérieures de la Vie a servi longtemps de prétexte à la Science pour l'éliminer de ses constructions de l'Univers” (Teilhard)” (p. 98).
“Dans le schème collectiviste (les sociétés fascistes ou soviétiques), le collectif prime sur l'individuel, au sens où l'individu disparaît dans le collectif. C'est un processus de “fusion” et non de “communion”. Dans ce schème se manifeste la fascination pour les modèles mécaniques qui peuvent sembler plus efficaces mais qui, comme l'ont montré les exemples des systèmes totalitaires, s'avèrent des impasses: “Le cristal au lieu de la cellule. La termitière au lieu de la Fraternité. Au lieu du sursaut escompté de conscience, la mécanisation qui émerge inévitablement de la totalisation …” (Teilhard). La différence entre la fusion et la communion signifie que la seconde suppose des entités libres” (p. 101).

R.-Ferdinand Poswick