Pour un regard sanitaire sur l'avenir de notre planète

Août 2020

Le New Deal Green est un des constats planétaires en cours. Mais on ne changera pas les choses sans une réorientation de la gestion financière mondiale… ni, d'ailleurs, sans une certaine "conversion" des mentalités: un exercice dans lequel les chrétiens pourraient avoir un rôle exemplaire!

Paul Jorion    Finance, Climat, Réveillez-vous    Jeremy Rifkin    Naomi Klein
Paul Jorion    Finance, Climat, Réveillez-vous      Jeremy Rifkin    Naomi Klein   

L'exceptionnelle mobilisation planétaire provoquée par le COVID-19 montre le développement d'une réelle “conscience planétaire” comme celle que pressentent beaucoup de traits des œuvres visionnaires du P. Pierre Teilhard de Chardin (décédé le 10 avril 1955).
Cela peut donner une chance d'être écoutés aux lanceurs d'alerte de haut niveau que furent un Al Gore (The Future, 2013) ou le Pape François (Laudato Si', 2015). Et pourtant, 5 à 8 années se sont déjà écoulées, avec des sommets mondiaux sans résultats probants, depuis ces avertissements solennels et très bien documentés dont j'avais fait écho dans la Revue Générale (décembre 2015, pp. 27-30).
J'y soulignais qu'au-delà d'une urgence signalée sur les bases d'une information très solide, l'appel du Pape François insistait sur la nécessaire écologie globale et donc aussi l'écologie humaine (attentive aux faiblesses et aux pauvretés qui sont la réalité humaine), là où Al Gore croyait à des solutions purement économico-sociales.

Quatre publications récentes et convergeantes

Quatre publications récentes méritent de réveiller et stimuler notre attention pour que ces cris d'alarme ne soient pas vains et puissent bénéficier des prudences sanitaires dont les gouvernants du monde ont majoritairement été capables de faire preuve lors de la crise sanitaire récente.
Paul Jorion, Le dernier qui s'en va éteint la lumière. Essai sur l'extinction de l'humanité, Pluriel, 2017 (février 2018), 286 pp.
Anne Hessel, Jean Jouzel, Pierre Larouturou, France, Climat, Réveillez-vous, les solutions sont là, Indigène Éditions, 2018 (octobre), 160 pp.
Jeremy Rifkin, Le New Deal Vert mondial. Pourquoi la civilisation fossile va s'effondrer d'ici 2028. Le Plan économique pour sauver la vie sur terre, Éd. Les Liens qui libèrent, 2019 (octobre), 304 pp.
Naomi Klein, Plan B pour la planète: le New Deal Vert, Actes Sud, 2019 (novembre), 414 pp.

Ces quatre livres appellent une attention forte et immédiate. On ne peut pas croire, contrairement à certains climato-sceptiques indécrottables – mais qui montrent également où peut mener leur scepticisme borné devant une pandémie et ce malgré les rapports précis de chercheurs et de scientifiques ‒ , on ne peut pas croire que 6 personnes, bien informées, supportées et corrigées par de nombreuses relations pertinentes, racontent des bêtises ou sont soudoyées par des lobbies anti-capitalistes!

Paul Jorion: taxer la productivité numérique au profit de l'humain

Paul Jorion, dont on connaît les grandes compétences dans les domaines économique et financier (il avait annoncé la crise financière de 2008!), s'aventure, peut-être, au-delà de ses certitudes en ces domaines, sur des terrains qu'il connaît moins, pour prédire une extinction de l'espèce humaine dans des délais relativement courts (3 ou 4 générations).
Il note l'évolution robotique de notre société informatisée et se bat pour une taxe “Sismondi” sur la productivité des machines, taxe qui permettrait – comme l'avait proposé l'économiste-philosophe suisse J.-C. Léonard de Sismondi (1773-1842) – que les travailleurs remplacés par un logiciel ou un robot bénéficient de cette mécanisation globale qui constitue un progrès pour l'espèce humaine dans sa totalité, au lieu d'en être simplement la victime (pp. 56-57). En effet “ L'ultralibéralisme accélère le mouvement de remplacement de l'homme par la machine dans toutes les tâches, tout en mettant en place un monde marchandisé à outrance, fondé seulement sur l'évaluation et la comparaison de quantités…” (pp. 60-61).

Face à ce monde robotisé qui pousse tout vers le court-termisme “Chacun devrait se convertir au long-termisme et mettre sa vie quotidienne en conformité avec ce nouveau mot d'ordre… nous avons laissé se développer le court-termisme, et la négligence des objectifs à long terme et l'absence d'une vision globale des enjeux s'ancrer dans la logique même de nos économies” (p. 66).

Si le message du Pape François propose l'amour du prochain comme moteur d'une économie soucieuse du long terme, Jorion pense que la “notion d'amour du prochain est parfaitement étrangère… à nos économies” (p. 81). “La théorie économique standard fait comme si les financiers étaient des philanthropes plutôt que des marchands…“ (p. 109). Or le système financier dans sa grande majorité, tel qu'il s'est organisé aujourd'hui (avec des privilèges extra-légaux faramineux qui permettent difficilement d'attaquer les financiers en justice) ne peut qu'engendrer de la violence et peut bloquer toute évolution qui n'apporterait pas de nouveaux bénéfices à court terme aux actionnaires (pp. 173-175).

Que faire pour redonner la main à monsieur tout-le-monde (démocratiquement) sur des choix fondamentaux, aujourd'hui aux mains de la haute finance mondiale et non des États ou représentants des citoyens?

Paul Jorion regrette que les religions, en général, donnent de faux espoirs aux humains: “Focaliser son attention sur cette chimère qu'est la vie après la mort .. distrait de la tâche d'améliorer le monde où nous vivons… et d'organiser sur une base renouvelable et durable la vie du genre humain sur la planète qu'il occupe” (pp. 183-184). Cette attitude nous handicape à un moment d'urgence pour l'humanité et la planète: “Elle nous handicape quand il s'agirait pour nous de consacrer toutes nos énergies au changement qui s'impose à l'instant présent, puisqu'il s'agit de modifier le cours des événements à l'échelle de deux ou trois générations” (p. 187). Et cela parce que “nous sommes incapables de nous identifier au destin du genre humain tout entier, et donc de nous impliquer pleinement dans sa survie” (p. 193).

“Les scientifiques ont beau nous expliquer que nous déréglons, probablement de manière irréversible, les cycles physiques, chimiques, climatologiques, la plupart d'entre nous disons en notre for intérieur que, le jour où le problème se posera de manière aiguë, nous ne serons de toute façon plus là” (p. 194).

Et, le même Jorion qui vient de pourfendre la religiosité comme donnant de faux espoirs de vie après la mort qui excusent les irresponsabilités du présent, en arrive à dire, après avoir évoqué l'encyclique Laudato Si' du Pape François: “On constate donc que les seules conceptions aristotélicienne et chrétienne de la fraternité, respectivement de l'homme social par nature et des hommes frères en raison de leur père commun, sont à même, si elles sont largement partagées, de proposer une représentation dynamique du destin humain capable de renverser la tendance présente de notre système économique à la destruction irréversible des conditions de vie de notre espèce sur terre. Les implications pratiques de l'ultra-libéralisme conduisent, elles, inexorablement à l'abîme: la “main invisible” de l'intérêt égoïste, après des siècles de pillage irresponsable, mène sans surprise l'espèce humaine à l'extinction. Soit donc triomphe la conception des hommes frères, pour des raison naturelles chez Aristote ou pour des raisons surnaturelle selon l'Église, soit l'homme disparaîtra” (pp. 220-221). Et il résume son propose “Mon ambition se limite à dire: Il existe cette espèce que l'on a appelée “genre humain”, qui se comportait de telle ou telle manière, et qui n'était pas vraiment outillée, ni dans le fonctionnement de son psychisme, ni dans celui des sociétés qui constituaient son cadre, pour faire face à une extinction qui la menaçait à l'échéance de deux ou trois générations” (p. 231).

Un cri planétaire

Avec des nuances diverses, les trois autres ouvrages poussent le même cri d'alarme, ce cri que l'on a vu instrumentalisé par certains lobbies à travers les gesticulations de la petite Greta Thunberg (née le 3 octobre 2003, et qui a commencé ses actions publiques à l'été 2018).

Le titre de l'ouvrage collectif auquel a collaboré Pierre Larouturou est du même ordre que celui de Pierre Jorion, dans la mesure où c'est l'économie et la finance qui semblent être la clef d'une vraie approche sanitaire de la crise climatique.
Larouturou, économiste français, avance une proposition qui pourrait aider les finances mondiales (clefs d'un changement des mentalités dans ce domaine): la création d'une Banque Mondiale pour le Climat. Mais cela ne peut se faire qu'en parallèle avec un grand mouvement de “conversion”:

Nous devons d'abord changer nos comportement et faire preuve de frugalité. "À cinquante ans, si tu n'as pas une Rolex, tu as raté ta vie”, affirmait un personnage public bien connu. Je dépense donc je suis, est-ce cela l'avenir de l'homme? N'est-il pas urgent de changer d'imaginaire? Rompre avec le “ toujours plus ”. Rompre avec le rêve de Donald Trump d'une société où tout est great, grand, démesuré, brillant Une société de l'avoir, qui pousse à consommer plus, sans vraiment vivre mieux (p. 60).

Réorienter les gigantesques Fonds de pension américains vers le Greeen Deal

Quant à Jeremy Rifkin, dont on connaît le sérieux des visions prospectives qu'il a données dans La Fin du Travail (1991) et dans La Troisième Révolution Industrielle (2012), c'est également du côté de la finance qu'il tente de trouver le principal levier pour un changement radical des actions de l'humanité sur la planète. Après avoir aidé l'Europe (et plus spécialement l'Allemagne qui serait en avance sur ces points par rapport au reste de l'Europe) et également la Chine, à créer des politiques d'élimination rapide des énergies fossiles en faveur d'énergies renouvelables et non-polluantes, il tente de peser de toutes ses convictions pour que les États-Unis, et, surtout, leurs tout puissants Fonds de Pension, fassent servir ces masses financières considérables pour modifier le plus rapidement possible les bases économico-sociales permettant l'avènement d'une société sans émission de CO² – un objectif qui, selon Rifkin, est rendu possible par la révolution numérique: celle-ci peut se greffer sur des énergies vertes et une structure qui rend au citoyen un pouvoir direct sur l'énergie produite et utilisée!

La nécessité d'une “conversion” humaine dont les chrétiens auraient la clef?

Quant à Noami Klein, elle se présente comme une militante des changements exigés par les développements climatiques et les risques de détériorations fatales pour l'humanité de notre petite planète. C'est dans ce sens qu'elle évalue l'action provoquée par Greta Thunberg:

L'exigence primordiale de Greta, c'est que l'humanité, dans son ensemble, fasse ce qu'elle a su faire au sein de sa propre famille: supprimer l'écart entre ce que nous savons de l'urgence climatique et la façon dont nous nous comportons. Le premier pas consiste à nommer l'urgence, et, une fois l'état d'urgence désigné, nous serons à même de trouver les ressources nécessaires à l'action ” (p. 26).

Elle ne peut que constater, elle aussi, une dégradation globale de l'économie et de la finance dans le sens d'une autonomisation pas du tout citoyenne:

L'histoire économique des quarante dernières années est celle d'un affaiblissement systématique du pouvoir de la sphère publique, d'un démantèlement des organes de régulation, d'un allègement de la fiscalité pour les riches et d'une revente bradée des services publics au secteur privé (pp. 57-58).

Elle met aussi fortement en garde contre des tentations de “géo-ingénierie” au plan mondial qui pourraient rencontrer les intérêts privés de grands investisseurs en faisant croire à des actions en faveur du climat… mais qui déstabiliseraient encore un peu plus les systèmes naturels existants:

Les négociations sur le climat au sein des Nations Unies partent du principe que les pays doivent s'accorder sur un plan d'action commun pour pouvoir contrer un problème intrinsèquement partagé; la géo-ingénierie, elle, offre une perspective toute différente. Pour moins d'un milliard de dollars, une “coalition de volontaires”, un pays isolé ou même une personne très riche pourrait décider de prendre en charge le problème du climat. Jim Thomas, membre de l'ETC Group, une organisation de veille écologiste, résume ainsi la situation: Voilà ce que dit la géo-ingénierie : On va faire ça… et les conséquences, ça vous regarde!
Dans cette affaire, le plus effrayant est que, d'après certains modèles, ce sont les populations déjà les plus disproportionnément vulnérables aux effets du changement climatique qui pourraient subir les conséquences les plus terribles de ces technologies. Imaginez un peu: l'Amérique du Nord décide d'envoyer du soufre dans la stratosphère afin de réduire l'intensité du soleil, dans l'espoir de sauver les récoltes de maïs – faisant fi de la possibilité crédible de déclencher des sécheresses en Asie et en Afrique. Bref, la géo-ingénierie nous donne (du moins à certains d'entre nous) le pouvoir de reléguer des pans entiers de l'humanité dans des zones sacrifiées, simplement en appuyant sur un bouton (pp. 151-152).

Alors, Naomi Klein ne voit qu'une issue : pousser à l'action directe des citoyens partout dans le monde: “ Par le passé, poussés par leurs propres découvertes, de nombreux scientifiques ont pris la décision de descendre dans la rue. Des physiciens, des astronomes, des médecins et des biologistes se sont ainsi retrouvés au premier rang des mouvements contre les armes nucléaires, la guerre ou la contamination chimique. En novembre 2012, la revue Nature a publié un texte de Jeremy Grantham, financier et philanthrope écologiste, exhortant les scientifiques à rejoindre cette tradition et à se faire arrêter, si nécessaire, parce que le changement climatique n'est pas seulement la crise de votre vie – c'est aussi la crise de l'existence de notre espèce” (p. 157).

Et encore:

Ce que réalise Werner [Brad Werner chercheur dans le domaine des systèmes complexes] avec sa modélisation diffère. Il ne dit pas que ses recherches l'ont poussé à agir pour bloquer telle ou telle politique. Non, il ne fait que présenter la conclusion de ses recherches, selon laquelle notre paradigme économique dans son ensemble représente une menace pour la stabilité écologique. Et d'ajouter que défier ce paradigme économique au moyen d'une pression populaire massive est, pour l'humanité, la meilleure chance d'éviter la catastrophe  (p. 158).

Cela implique un changement d'attitude du “consommateur” que nous sommes:

Le changement climatique exige que nous consommions moins. Or, tout ce que nous savons faire, c'est consommer. Le changement climatique n'est pas un problème que nous pouvons résoudre simplement en achetant autre chose – un véhicule hybride au lieu d'un 4x4 ou des compensations carbone quand on prend l'avion. Il s'agit intrinsèquement d'une crise née de la surconsommation des individus relativement riches. Cela signifie que les consommateurs les plus frénétiques du monde vont devoir réduire leur consommation pour que les autres aient de quoi vivre (p.170-171).

Ce qui implique une meilleure prise de conscience du temps long contre l'immédiateté événementielle dans laquelle vit la génération du numérique:

Si le changement climatique est, pour beaucoup d'entre nous, aussi difficile à saisir, c'est notamment parce que nous vivons dans une culture du présent perpétuel qui se coupe délibérément du passé dont nous avons émergé et du futur que nos actions façonnent. Or, ce que nous avons fait dans le passé affecte immanquablement non seulement notre présent, mais également les générations futures. Pourtant ces cadres temporels sont devenus comme une langue étrangère pour la plupart des individus de l'âge numérique (p. 177).

Il faut donc créer un mouvement mondial et organisé pour parvenir à un changement: 

La vérité, dure à entendre, est que la réponse à la question: Que puis-je faire, en tant qu'individu, pour arrêter le changement climatique? est: rien! Vous ne pouvez rien faire. L'idée même qu'en tant qu'individus isolés nous pourrions jouer un rôle décisif dans la stabilisation du climat de la planète ou changer l'économie mondiale est objectivement délirante. Nous ne pouvons relever ce défi colossal qu'en participant à un mouvement mondial massif et organisé (pp. 184-185).

Elle qui a été invitée par le Vatican à Rome pour la sortie de l'encyclique du pape François Laudato Si', et que le service de presse du Vatican a présenté comme une “féministe juive laïque”, se demande si les catholiques ne serait pas l'un des seuls groupements humains assez puissant et intelligent pour pousser l'humain à une vraie “conversion” face aux urgences climatiques:

Si critiquer l'anthropocentrisme va presque de soi pour les écologistes, il en va autrement pour qui se trouve à la tête de l'Église catholique. Difficile, en effet, de trouver plus anthropocentré que cette vision judéo-chrétienne selon laquelle Dieu a créé le monde entier dans le but de servir les intérêts d'Adam. Quant à cette idée que nous faisons partie d'une grande famille qui compte parmi ses membres tous les autres êtres vivants, et dont la mère n'est autre que la Terre, elle a aussi quelque chose de familier pour les écologistes. Mais venant de l'Église? Éradiquer le paganisme et l'animisme consistait, en effet, surtout à remplacer une Terre maternelle par un Père céleste et à retirer au monde naturel toutes ses puissances sacrées.
En défendant l'idée que la nature possède une valeur intrinsèque, le pape François tourne le dos à des siècles d'interprétation théologique: jusque là, le monde naturel était appréhendé avec une franche hostilité – comme une misérable substance qu'il s'agissait de transcender ou comme une “séduction” à laquelle il fallait résister. Bien sûr, certains courants du catholicisme ont perçu la nature comme quelque chose de précieux dont il fallait prendre soin – allant parfois même jusqu'à la glorifier; mais il s'agissait avant tout d'un ensemble de ressources destinées à nourrir les humains” (p. 196).

Et encore:

“Je me rends compte que ce que j'ai vu prendre forme durant ces trois derniers jours, à Rome, est un véritable évangile de l'écologie – dans la volonté de “répandre la bonne nouvelle de l'encyclique”, d'”envoyer l'Église sur les routes”, de lancer un pèlerinage populaire” pour la planète [...] un dispositif millénaire conçu à des fins de prosélytisme pour convertir les non-chrétiens se prépare désormais à diriger son zèle missionnaire vers l'intérieur, et à bouleverser les croyances fondamentales des fidèles au sujet de la place de l'humanité dans le monde [...] afin d'éduquer les membres de l'Église à cette nouvelle théologie de l'interdépendance et de l'écologie intégrale.
Nombreux sont ceux qui ont trouvé curieux que Laudato Si' soit en même temps extrêmement critique envers le présent et plein d'espoir pour l'avenir. La foi de l'Église quant au pouvoir des idées et sa redoutable capacité de diffuser des informations à l'échelle globale expliquent en partie cette tension. Les gens animés par la foi, particulièrement la foi des missionnaires, croient profondément en quelque chose dont doutent beaucoup de laïques: le fait que tous les êtres humains soient capables de changer en profondeur. Ils restent convaincus que le bon dosage d'arguments, d'émotions et d'expériences peut déboucher sur une transformation existentielle. C'est cela, après tout, l'essence d'une conversion. L'exemple le plus saisissant de cette capacité de changement pourrait bien être le Vatican du pape François. Et il offre un modèle qui ne vaut pas seulement pour l'Église. Car si l'une des institutions les plus anciennes et les plus traditionalistes du monde peut faire évoluer ses enseignements et ses pratiques de façon aussi radicale et rapide, ainsi que François tente de le faire, alors toutes sortes d'institutions plus jeunes, plus flexibles pourront certainement entamer leur mue.
Si cela vient à se produire, si la fièvre transformatrice est aussi contagieuse qu'elle semble l'être ici, alors nous aurons peut-être une chance de résoudre le problème du changement climatique” (pp.202-204).

Étonnante observation qui montre la responsabilité certaine des chrétiens dans les évolutions mondiales en cours!
Mais l'Auteure milite également pour un élargissement de la notion d'emploi vert:

Lorsqu'on parle d'emploi vert, la plupart d'entre nous imaginent un ouvrier coiffé d'un casque de chantier en train de mettre en place un panneau solaire. Bien sûr, cela fait partie des emplois verts, et nous avons besoin d'un grand nombre de travailleurs de ce type. Mais il existe beaucoup d'autres emplois qui nécessitent peu de carbone. S'occuper des personnes âgées et des malades, par exemple, n'est pas très gourmand en carbone. Pareil pour la pratique artistique. Ou l'éducation des enfants. Que ce soit à la crèche ou dans le secondaire. Et pourtant, ce genre de travail, en grande partie assuré par des femmes, est souvent sous-évalué, sous-payé et menacé par des coupes budgétaires. Nous avons donc décidés d'étendre la définition habituelle d'emploi vert à toute tâche considérée comme utile et enrichissante pour tous, d'une part, et peu gourmande en combustibles fossiles, d'autre part. Ainsi que l'a formulé l'un des participants [à des assises écologiques]: Les métiers du soin, ce sont des énergies renouvelables. Pareil pour l'éducation”. En outre, ce type d’activité renforce le lien social, le rend plus humain, et nous permet de faire face aux chocs qui nous attendent dans un futur marqué par le dérèglement climatique (p. 247).

Ou encore, rejoignant les analyses des autre auteurs, l'Auteure constate que

… en Inde, comme ailleurs le plus grand frein [pour diminuer le poids des énergies fossiles] demeure l'alliance entre un gouvernement intrusif et répressif d'un côté, et une industrie du carbone toute-puissante, de l'autre: lorsque les gens peuvent générer leur propre électricité grâce à des panneaux solaires installés sur leurs toits, et même rediriger cette énergie vers des micro-réseaux, ils perdent aux yeux des très gros fournisseurs leur statut de client – ils deviennent des concurrents. Pas étonnant que le solaire rencontre tant d'obstacles: les grandes entreprises n'aiment rien tant qu'un marché captif” (p. 283).

Et pourquoi ne pas profiter d'une situation de crise [N.B. : le Covid-19 n'était pas encore connu au moment de la publication du livre du Naomi Klein] pour proposer des changements plus radicaux:

Les moments de crise n'ont pas pour seule réponse possible la stratégie du choc – ils ne sont pas nécessairement une opportunité offerte aux ultrariches de devenir plus riches encore. Ils peuvent aussi déboucher sur tout autre chose. Ce peut être des moments où nous découvrons la meilleure facette de nous-mêmes ... On constate ce phénomène au niveau citoyen, chaque fois qu'un désastre se produit. [...] Et ce n'est pas uniquement à l'échelon citoyen que nous voyons les désastres réveiller quelque chose de remarquable en nous. Il existe une longue et fière tradition de crises déclenchant des transformations positives dans l'ensemble de la société. Pensons, en matière de logements sociaux et de retraites, aux victoires du New Deal remportées par les travailleurs américains au cours de la Grande Dépression ou la mise en place du système de sécurité sociale britannique après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Tout cela doit nous rappeler que les moment de grande crise et de péril ne sont pas nécessairement des coups d'arrêt. Qu'ils peuvent aussi être des accélérateurs. (p. 324).

Et si Naomi Klein doit se défendre régulièrement, selon ses dires, de son “socialisme militant”, elle tente aussi de le justifier sans être aveuglée par les échecs des socialismes totalitaires:

Reconnaissons aussi que le socialisme industriel autoritaire a également été un désastre pour l'environnement: ainsi, les émissions de carbone ont brutalement chuté lorsque les économies de l'ex-Union Soviétique se sont effondrées au début des années 1990. Et le pétro-populisme vénézuélien nous rappelle qu'il n'y a rien d'intrinsèquement écologiste dans tout socialisme autoproclamé.
Gardons cela à l'esprit, tout en faisant remarquer que les pays dotés d'une forte tradition “social-démocratique” (tels le Danemark, la Suède ou l'Uruguay) développent des politiques environnementales parmi les plus visionnaires de la planète. Nous pouvons en conclure que, si le socialisme n'est pas nécessairement écologiste, une nouvelle forme d'écosocialisme démocratique qui aurait suffisamment d'humilité pour s'inspirer des enseignements autochtones (sur nos devoirs envers les générations futures et sur l'entrelacement de toutes les formes de vie) apparaît néanmoins comme la meilleure chance de survie pour l'humanité (p. 343-344).

Conclusion

Il y a urgence. Il y a des convergences d'analyse sur les causes principales de la crise climatique et sur les anti-corps à développer.
Les chrétiens, et plus particulièrement les catholiques – interpellés comme tels par ceux qui ne le sont pas - , ont les moyens de se serrer les coudes dans un grand mouvement de conversion: du court-termisme au long-termisme (1000 ans ne sont-ils pas comme 1 jour?), d'une consommation illimitée à une consommation utile et raisonnable. Mais ils peuvent aussi peser dans les choix techno-sociaux comme la création de coopératives d'énergies renouvelables à une échelle locale et démocratiquement gérées. Sans oublier que, parmi les grands actionnaires les plus puissants, capables d'orienter les investissements mondiaux, on trouve probablement plus d'un chrétien: une “ conversion ” de l'actionnariat pour orienter les investissements vers des objectifs climato-sanitaires constituerait un levier majeur pour l'avenir de la planète. Et pourquoi pas avec la création d'une Banque Climatique Mondiale (BCM, WCB)? Au-delà de Laudato Si' ne peut-on demander la création d'un guide pratique de ses mises en œuvre par tous ceux qui croient en l'avenir de l'Humain? Et, dans la foulée, pourquoi, enfin, la création, avec son centre à Saint-Paul-hors-les-murs (Rome), d'un vrai Parlement des Religions et des Spiritualités au moment où l'on voit vraiment cette conscience planétaire qui s'éveille comme en témoigne l'appel du Cheikh Khaled Bentounès et de son Association Internationale (AISA) “Covid-19: Une invitation à une nouvelle réflexion” (3 avril 2020)?

R.F. Poswick